Si la prostitution étudiante est un phénomène qui se développe de plus en plus dans les grandes villes françaises, appréhender sa réalité concrète reste toujours difficile. En 2006, le syndicat Sud-Étudiant affirmait que 40 000 étudiants, hommes comme femmes, la pratiquaient dans le plus grand secret. Un chiffre que "Sud-Étudiant a depuis fait disparaître de ses tracts", rapportait Rue89 quelques années plus tard.
Selon la préfecture de police, le nombre total de prostituées en France serait compris entre 15 000 et 20 000. Parmi elles, un petit nombre serait des étudiantes mais cette faible proportion est en constante hausse depuis 10 ans. Un phénomène en expansion qui peut s'expliquer, en partie, par un coût de la vie qui augmente constamment pour cette catégorie de la population. Au premier rang de ces dépenses, le logement et les études. "Mon école coûte 4800 euros par an, et mon loyer 670 euros tous les mois. La prostitution, c'était mon dernier recours pour assumer financièrement", confie Léa*, étudiante en école de commerce à Paris qui a recours à la prostitution depuis 11 mois.
Deux secteurs de dépenses qui n'ont cessé d'augmenter au cours des dernières années : frais de scolarité et loyers constituant une part conséquente du budget. Pour un étudiant parisien, se loger dans la capitale est de plus en plus difficile puisqu'il faut compter en moyenne 740 euros pour un loyer. Paris se classe dans ce domaine troisième au rang des villes les plus chères d'Europe.
Pour les étudiantes concernées, pratiquer la prostitution en parallèle des cours est vécu comme un déshonneur comme l'explique Léa. "Personne ne connaît l'existence de ma double vie, j'ai très honte. Mes copines en commerce arrivent toutes à joindre les deux bouts".
Car il n'existe pas de profil type de l'étudiante qui se prostitue. Léa affirme ainsi avoir des amis, pratiquer le tennis en club et mettre de l'argent de côté pour ses vacances. Après les cours, elle endosse la tenue d'escort girl. "J'accompagne mon client où il le souhaite, au restaurant, en soirée, j'ai même conduit un homme lors d'un repas de famille."
"Escort girl", le terme est volontairement différent de celui de prostituée. "Vous n'attendez pas le client dans la rue ou chez vous, vous ne racolez pas, mais vous finissez la plupart du temps par coucher avec lui", explicite Léa. "C'est un peu moins dégradant. Le seul intérêt est que je choisis mes clients, je demande des photos et une description."
Si l'activité reste encore tabou, de plus en plus d'étudiantes parlent volontiers d'une prostitution choisie, d'un travail comme un autre, difficile, mais avec ses points positifs. A ce titre, les facilités offertes par Internet leur ont permis d'éviter le racolage des trottoirs, mais aussi de trouver de nouveaux clients comme les "Sugar Daddy". Ce phénomène venu des Etats-Unis s'est installé en France en 2010, avec la création du site de rencontre sugardaddy.fr par Vincent Veyrat-Masson. Objectif : faciliter la prise de contacts entre jeunes étudiantes et hommes fortunés en recherche de compagnie. Lors de l'inscription, les hommes doivent indiquer leurs revenus mensuels ainsi que leur patrimoine, mais aussi ce qu'ils attendent de leur "sugar baby". En contrepartie, certains d'entre eux peuvent financer les études et le loyer d'un étudiante.
Une double vie que la psychologue Marie Amblard tente d'expliquer en revenant sur les difficultés que peuvent rencontrer les étudiantes concernées. La spécialiste met en avant une possible faculté à se dédoubler :
Pour Léa, ce choix de vie prend peu à peu le pas sur ses véritables objectifs. "J'ai l'impression de ne plus être une étudiante mais une prostituée", explique la jeune femme. La prostitution reste d'ailleurs un traumatisme pour celles qui l'ont vécue. "Cette période est restée un secret à jamais dans ma vie", commente une ancienne prostituée qui a maintenant fondé une famille.
Dégradante pour certaines, la pratique est ressentie comme un échec personnel. Reprendre sa vie en main et faire son deuil apparaissent alors comme les objectifs principaux de celles qui y ont eu recours. "On a toujours une crainte pour la suite, pour le moment je me concentre juste sur le fait que c'est ma seule solution pour vivre. Dès que je pense avoir gagné assez d'argent, je stoppe tout, ce sera définitif", conclut Léa.
*Le prénom a été modifié.
Guillaume Benamour et Julien Rogé.
Dossier réalisé en partenariat avec les étudiants de l'Institut européen de journalisme.