Êtes-vous capable de citer 5 youtubeuses dont les vidéos sont consacrées à autre chose qu'à la beauté, la mode, la cuisine ? Non ? Pourtant, il existe des dizaines de vidéastes sur YouTube qui abordent dans leurs vidéos les questions de société, parlent de sciences, de littérature, d'histoire ou de musique, tout en fédérant derrière elles des milliers de passionnés.
C'est à elles que les réalisatrices Léa Bordier et Lisa Miquet ont décidé de consacrer un documentaire. Co-fondatrices de l'association Les Internettes, qui a pour but d'encourager et valoriser la création féminine sur YouTube, les deux jeunes femmes ont réalisé Elles prennent la parole dans ce même but : offrir à ces youtubeuses au talent trop souvent méconnu un terrain d'expression.
"Pour les gens, une youtubeuse est avant tout une fille qui parle de beauté, de lifestyle. Or, on a fait le constat qu'il existait plein de vidéastes qui parlaient de sciences, de politique, de culture et qui ne sont pas assez visibilisées", nous explique Léa Bordier.
Natoo, Florence Porcel, Marion Seclin, Charlie Danger, Lola Dubini, Klaire fait grr, ou encore Solange te parle : en tout, ce sont 15 vidéastes qui se succèdent devant la caméra des deux réalisatrices pour évoquer leur expérience, leur quotidien, ainsi que les difficultés qu'elles rencontrent depuis qu'elles ont décidé de créer leur chaîne YouTube.
Parmi celles-ci, il y a évidemment le poids des stéréotypes et le sexisme affiché des internautes. Retranchés derrière leur écran d'ordinateurs, certains n'hésitent pas à insulter ou menacer les vidéastes, avec comme premier motif de leur colère le fait qu'elles soient des femmes. "À la base, on pensait vraiment faire un documentaire pour motiver d'autres jeunes femmes et les inciter à se lancer en faisant quelque chose d'assez inspirant. Or, il s'est avéré quand on a réalisé les interviews que le sujet du cyberharcèlement revenait sans cesse sur la table. Au fil des interviews, on s'est rendues compte que c'était super important d'y consacrer une partie du documentaire, notamment pour prévenir de futures vidéastes qui aimeraient se lancer."
Qu'elles vulgarisent les sujets scientifiques comme Florence Porcel ou Esther, évoquent les questions de genre et de sexualité comme Mx Cordelia ou discutent de littérature et de féminisme comme Ginger Force, toutes les youtubeuses interviewées ont été déjà été décrédibilisent parce qu'elles étaient des femmes. Parce qu'elles "osent" s'approprier des thèmes traditionnellement réservés aux hommes comme l'histoire ou les sciences, les youtubeuses sont régulièrement remises en question et doivent sans cesse prouver qu'elles sont aussi légitimes que les garçons pour les aborder.
Dans le documentaire, Esther, pourtant doctorante en astrophysique, raconte avoir longtemps hésité à partager sa passion pour les sciences dans ses vidéos de peur de ne pas être prise au sérieux. "Il y a une crise de légitimité des vidéastes comme une crise de légitimité des femmes en général. C'est ce qu'on veut démontrer : YouTube est un miroir de notre société. Elles ne se sentent pas légitimes car il y a un manque de rôles modèles féminins sur YouTube. Il y a peu de femmes qui parlent de politique, de sciences ou de tout autre sujet qui n'est pas considéré comme féminin. Et comme il y en a moins, elles ne se sentent pas capables de s'exprimer", analyse Léa Bordier.
Le sexisme des internautes s'exprime aussi dans les commentaires sous les vidéos. Parce qu'elles sont des femmes, et bien qu'elles parlent souvent de sujets qu'elles maîtrisent sur le bout des doigts, youtubeuses sont constamment ramenées à leur apparence. Parfois ce sont des commentaires désobligeants. Parfois non, mais "c'est déjà embêtant et ce n'est pas la question, affirme Léa Bordier. Qu'on dise à une jeune femme 'Vraiment super ta vidéo. PS : tu es vraiment super belle aujourd'hui', ça n'est pas le but."
Pour certaines youtubeuses, le harcèlement en ligne est devenu si intense et si violent qu'il a même pu devenir un frein à leur création. La peur d'être moquée, insultée, menacée peut supplanter l'envie de créer et de partager sa passion avec une communauté. Cela est arrivé Marion Seclin. L'an dernier, la Youtubeuse a consacré une vidéo au fléau du harcèlement de rue. Elle s'est alors attirée les foudres de certains internautes qui, sous la vidéo, ont posté des milliers de commentaires d'une violence inouïe, certains appelant à la violer, à la tuer, ou l'incitant à se suicider. "Je ne me suis pas rendue compte du tout de ce qui allait me tomber dessus, explique Marion Seclin dans le documentaire. J'étais extrêmement loin de me douter que ça pouvait être aussi difficile [...] Quand je reçois [des commentaires] de gens qui ont seulement purement envie de m'atteindre et de m'insulter, je me demande pourquoi je fais ce boulot."
Si le statut d'hébergeur de YouTube profite pour le moment aux harceleurs, ces derniers ne représentent heureusement qu'une infime partie de l'expérience vécue par les youtubeuses. Toutes l'affirment : elles ne regrettent absolument pas de s'être lancées dans l'aventure. Et c'est justement là tout le but de "Elles prennent la parole" : inciter les jeunes filles et les jeunes femmes à oser elles aussi créer leur chaîne et réaliser leurs propres vidéos. Car les avantages qu'elles en tireront dans leur vie seront largement supérieurs aux tracas causés par les commentaires laissés par quelques no life misogynes. Toutes ont su fédérer autour d'elles une communauté de fidèles internautes qui les motivent, les encouragent et les inspirent à poursuivre leur passion. "Depuis que je suis sur YouTube, je me suis tellement épanouie en tant que vidéaste, mais surtout en tant que personne. Youtube, c'est une expérience formidable, je la conseille vraiment à tout le monde parce qu'on se découvre dans quelque chose qu'on aime", s'enthousiasme Charlie Danger.
Alors, prêtes à vous lancer ?