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"Woman World" imagine un monde sans hommes (et c'est génial)
Publié le 5 mars 2020 à 17:45
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Petite perle d'humour absurde et d'irrévérence féministe, "Woman World" de Aminder Dhaliwal est la bande dessinée drôlatique qui manque encore à votre bibliothèque. Ou vous explique pourquoi vous devez la dévorer.
"Woman World", comme un doux parfum d'utopie matriarcale. "Woman World", comme un doux parfum d'utopie matriarcale.© La ville brûle
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Imaginez. Un monde sans hommes. Plus précisément, une société post-apocalyptique, où l'extinction de la gent masculine aurait laissé place à un matriarcat renaissant. Sur les ruines du patriarcat, l'enthousiaste Gaïa (qui aime défiler en tenue d'Eve) fédère les foules de consoeurs qui, malgré l'absence de mecs, ne se tapent pas pour autant la déprime du siècle.

Non non, elles papotent empowerment toute la journée durant (mais aussi menstruations et narcissisme), boivent du vin, organisent des débats démocratiques et renouent avec Mère Nature. Pendant ce temps, Emiko, une enfant pleine de fantaisie, cuisine sa grand-mère Ulaana pour savoir à quoi ressemblait le monde... avant. Cette utopie gorgée d'ironie s'intitule Woman World et elle est l'oeuvre de l'autrice et dessinatrice canadienne Aminder Dhaliwal, dirigeante du studio Disney TV et grande amatrice de comique absurde.

Nonsensique, oui, mais aussi légère, impertinente, militante, cette bande dessinée absolument "meufiste" publiée par l'excellente maison d'édition La ville brûle nous ravit. Et elle devrait vous réjouir aussi. Voici pourquoi.

Pour son humour dévastateur

Woman World, c'est avant tout un humour incisif et incongru. Amatrices et amateurs d'absurde s'abstenir ! Dans cette bande dessinée, on porte aux nues la comédie potache Paul Blart : Super Vigile (que la toute jeune Emiko considère comme un vestige sacré du patriarcat), on brandit un drapeau à l'effigie des cuisses de Beyoncé (lequel pourrait devenir l'emblème du "Meuf Monde"), et on ne s'inquiète pas vraiment pour l'avenir d'une humanité sans testostérone. Car comme l'énonce avec justesse la leadeuse peace & love Gaïa à son assistance : "On était toutes plus ou moins bi de toute façon, non ?".

La dérision de l'autrice est bon enfant, mais elle n'en est pas moins jubilatoire. Dhaliwal se sert de la satire pour taquiner ces "spécimens d'hommes" de l'ancien temps et célébrer un "Woman World" révolutionnaire qui n'en est pas moins traversé de quiproquos, de dialogues de sourdes et de prises de tête aussi diverses que triviales. Mais pas de panique, la dessinatrice croit fort en la sororité. Et nous aussi.

Pour ses personnages super attachants

Loin de désincarner la vanne, l'autrice Aminder Dhaliwal règle ses pas sur ceux des scénaristes des Simpson - on retrouve le même mix entre humanisme débordant et désinvolture qui fait mouche. Ses personnages de femmes libérées sont aussi drôles qu'attachantes. La mamie Ulaana par exemple, lorsqu'elle met en mots son "houmous de folie", ses connaissances de l'humour-web ou sa passion pour l'acteur (alors disparu) Chris Pratt ("Elle a l'air cool !", commente sa petite-fille). Une grand-mère qui peine à faire comprendre à sa chère Emiko les rudiments d'un patriarcat déjà oublié...

On aime aussi s'épancher sur les tourments de la jeune Yumi ("Je n'ai jamais eu de père. Je lui aurais demandé comment survivre à la peur dans ce monde post-apocalyptique, entre travailler aux champs et se maintenir en vie") ou la maladresse d'Ina, qui n'a d'yeux que pour sa grande copine Layla ("Moi, je crois à l'amour", lui dira d'ailleurs cette dernière).

Malgré le caractère exceptionnel des situations post-apo, Dhaliwal insiste sur leur trivialité, et tous ces petits riens qui éclosent de la fin d'une civilisation - les doutes, l'ennui, la monotonie retrouvée. C'est cela qui, justement, suscite l'empathie.

Pour son grand discours féministe

Conversation dans ce nouveau monde à propos des chasses aux sorcières d'antan (celles que narre l'autrice Mona Chollet) : Emiko est convaincue que lesdites sorcières détenaient réellement des pouvoirs. Elle argumente : "OK : des hommes trucident ds tas de femmes accusées de sorcellerie. Et un peu plus tard les hommes disparaissent de la surface de la Terre. Réfléchis dans ta tête : si c'est pas de la magie, c'est quoi alors ?". Des traits d'esprit au militantisme bien affirmé, il y en a plein dans Woman World, qui sous couvert d'insouciance brasse tout un tas de thématiques (les règles, la dépression, la solitude) avec une tonalité libre et salutaire.

Et quand Aminder Dhaliwal (qui, en tant que dessinatrice, doit bien connaître l'ambiance toxique des boys club) se permet des piques féministes, elle ne fait pas de prisonniers. "Quelle tristesse ! Je ne verrai jamais d'hommes... Personne pour m'expliquer ce que je sais déjà", décoche à ce titre l'une des protagonistes de cet imaginaire exempt de tout "mansplaining".

Mais par-delà ces punchlines, Woman World est avant tout une fable écoféministe, qui prône un retour à la Nature. Et à son respect primordial, cette exigence bafouée par bien des hommes. Rappelons au cas où que l'héroïne se nomme Gaïa, soit le nom, dans la mythologie grecque, de la Déesse de la terre...

Pour son univers visuel très poétique

Et c'est justement elle, la terre, qui recouvre les planches de Woman World. L'autrice, qui signe aussi les illustrations, magnifie les paysages au gré desquels ces survivantes déambulent. Des champs, des collines, des lacs et autres sentiers verdoyants où le son harmonieux des ruisseaux a remplacé celui des male tears. Aminder Dhaliwal en rend compte avec un style épuré qui incite à la contemplation et à l'apaisement. Notamment lorsque la dessinatrice fait honneur au ciel étoilé que scrutent ses héroïnes non sans rêverie. De quoi souffler un peu en attendant le déluge.

Woman World, par Aminder Dhaliwal.
Editions La ville brûle, 250 p.

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