Drôles, sensibles, mélancoliques, originales... Les histoires d'autrices et dessinatrices aussi stimulantes visuellement qu'engagées ne manquent pas. Elles abordent des thèmes aussi intimes qu'universels, sans tabou, avec authenticité, du rire aux larmes. L'idéal pour occuper vos journées cet été.
Voici notre sélection perso.
Après le mélancolique C'est comme ça que je disparais, Mirion Malle revient avec une nouvelle histoire à fleur de peau, dont le titre tout aussi spleenétique évoque une chanson éponyme de Benjamin Biolay et Françoise Hardy : Adieu triste amour. L'héroïne, Cléo, voit son quotidien bousculé lorsqu'elle rencontre l'une des supposées exs de son petit ami. Elle se met dès lors à douter de l'honnêteté de ce dernier, et de la qualité de leur relation.
A travers cette histoire pleine de sensibilité, la dessinatrice et autrice déploie l'épure visuelle qu'on lui connaît bien, son sens du détail, avec un équilibre harmonieux entre l'intime et le contemplatif. Le tout, au service d'une ode à la sororité et à l'écoute. Et qui rappelle également, l'espace d'une planche, l'apport bienfaiteur de Taylor Swift à notre santé mentale.
Adieu triste amour de Mirion Malle. Editions La ville brûle. 210 p.
Salué·e au Stonewall Book Award de 2020 (référence pour les lecteurs d'oeuvres LGBTQ), Maia Kobabe relate dans ce roman graphique enfin édité en France le long cheminement qui l'a mené à reconnaître et assumer son identité de personne non-binaire. Parcours entrecoupé d'innombrables interrogations : suis-je homosexuel(le) ? Bi ? Asexuel(le) ? C'est quoi au juste, le genre ? Quand est-on fille, quand est-on garçon ? Quels pronoms employer ?
On apprécie la dimension très incarnée de ce récit de vie qui pourra faire écho à bien des histoires de lecteurs et lectrices. Mais aussi la manière dont il questionne avec ludisme, à une époque où la notion de gender fluid est de plus en plus reconnue dans notre société, la notion-même de genre (et notamment les injonctions physiques, à la féminité comme à la masculinité), ainsi que la richesse de la culture queer – associée un chapitre après l'autre aux récits d'heroic fantasy, aux chansons de David Bowie et aux romans d'Oscar Wilde.
Genre queer de Maia Kobabe. Editions Casterman. 240 p.
Blopblop, c'est le nom que Violette a donné à son embryon. Cette jeune libraire féministe est tombée enceinte sans le vouloir, et veut avorter. Entre introspection et doutes, rendez-vous médicaux pas toujours évidents et conversations avec ses proches, le récit de Léa Castor délivre une vision nuancée de l'IVG.
L'autrice dénonce la dénomination "d'IVG de confort" sans jamais remettre en question l'importance de ce droit fondamental, ni mésestimer l'impact que peut avoir l'avortement sur les principales concernées. Stress, remarques déplacées, déprime, sentiment de ne pas être assez soutenue... Violette passe par bien des étapes, dans un monde qui ne semble pas entendre l'étendue de ses émotions parfois contradictoires.
A l'adresse de Blopblop, elle écrit ainsi, émue : "Même étant dans un milieu qui promeut le droit à l'avortement, j'étais finalement très peu renseignée. J'étais terrifiée à l'idée d'avorter. On présente ça comme 'facile', 'anodin', quelle blague ! Ma vie n'était pas prête pour toi. Moi, j'ai envie de t'accueillir dans les meilleures conditions".
Une histoire très touchante servie par un crayonné singulier aux tonalités pastels, aux dominantes de bleu et de violet, et préfacée par la gynécologue Laura Berlingo, autrice du livre Une sexualité à soi.
Cher blopblop, lettre à mon embryon, de Léa Castor. Editions Leduc. 140 p.
Entre Yari et Hide, c'est la confusion des sentiments. Et pour cause : Hide est polyamoureux. Avec ce récit aux couleurs chaudes, la blogueuse et autrice afroféministe Laura Nfasou et la dessinatrice Camélia Blandeau prennent le pouls de la romance 2.0., des formes qu'elle revêt et de sa complexité.
En émane une histoire lucide et polyphonique aux réflexions limpides : "Même si tu aimes sincèrement plusieurs personnes, j'ai du mal à croire que ce ne soit pas le bordel. A un moment, on doit forcément souffrir", y lit-on notamment.
Amours croisées de Laura Nfasou & Camélia Blandeau. Editions Marabulles. 190 p.
Cette bande dessinée postfacée par l'autrice et réalisatrice Andréa Bescond explore avec beaucoup de justesse un sujet tabou, celui de l'inceste. Sa protagoniste nous relate son enfance, meurtrie par un traumatisme : le viol dont elle fut victime, et dont fut coupable son beau-père.
A la douleur du souvenir succède la tentative de l'oublier, mais aussi la crainte de l'exprimer, émotion mêlée de peur et de culpabilité, et finalement... Le dégoût d'entendre une voix bien trop familière déconsidérer ce vécu.
A l'unisson de la mobilisation #MeTooInceste, la dessinatrice Samboyy plaque mots et dessins sur ces violences. Sans pour autant délaisser toute parenthèse humoristique ou légèreté (apparente). Son style dénote par un décalage certain, une forme de dérision érigée comme rempart face à la souffrance et à la sidération. Une nécessaire protection. "J'ai beaucoup ri, c'est une pépite, qui touche, qui bouscule", affirme Andréa Bescond. CQFD.
C'est mon p'tit doigt qui me l'a dit de Samboyy. Editions Leduc. 160 p.
Le dessinateur et auteur Nicolas Wild s'est immergé pour ce récit documentaire et minutieux dans la Maison des femmes de Saint-Denis, ce lieu fondamental qui, rattaché à l'hôpital Delafontaine, propose une prise en charge pluridisciplinaire, d'aide et d'accompagnement, des femmes victimes de violences et/ou en situation de précarité.
Quelles sont au juste les femmes qui se rendent dans cette Maison créée par la Dr Ghada Hatem ? Quelle est leur histoire ? Quelles formes prend cette prise en charge par des femmes, pour des femmes ? Comment traiter des situations aussi accablantes en gardant la tête froide ? Autant d'interrogations qui ponctuent ce récit intime.
Récit au travers duquel le dessinateur parvient à rester à juste distance, oreille et regard attentifs face aux violences patriarcales. En résulte une ode à l'entraide et au quotidien de ces professionnelles engagées.
A la maison des femmes de Nicolas Wild. Editions Delcourt. 190 p.