Depuis début avril, on peut trouver dans les rues de l'Indiana (Etats-Unis) de bien étranges boîtes : des boîtes à bébé. Ces petites couveuses insérées dans le mur et garnies de trous sont équipées d'un matelas auto-chauffant et d'un système d'alarme qui se déclenche dès que l'on pose le bébé pour prévenir les centres de soins les plus proches. Mises en place sous l'impulsion de l'association Safe Haven Baby Boxes dirigée par Monica Kelsey, elle-même abandonnée à sa naissance par sa mère de 17 ans suite à un viol (comme elle le raconte dans sa vidéo devenue virale, "Conceived in Rape"), ces "boîtes à bébé" ont pour but de garantir un anonymat total aux parents et de mieux protéger les enfants abandonnés.
Il existe déjà des lois sur l'abandon aux Etats-Unis, les lois "Safe Haven" ("lieu sûr" en anglais), aussi familièrement appelées "lois de Moïse" qui permettent d'abandonner des enfants anonymement dans des commissariats, des hôpitaux ou des casernes de pompiers. Mais comme Kelsey le confiait au Washington Post le 5 mai, de nombreux parents en détresse n'y ont pas recours "par crainte du face-à-face" et laissent leurs bébés dans la rue : c'est le point de départ de faits divers glaçants qui ont défrayé la chronique, comme le bébé enterré vivant par sa mère en Californie ou les treize nourrissons morts de froid dans l'Houston après avoir été déposés dans des poubelles. "On fait tout ce qu'on peut pour remédier à la détresse", a expliqué dans le même article Wes Rogers, capitaine de la brigade de pompiers de Cool Spring et collègue de Monica Kelsey. "On essaye chaque jour d'y remédier, lorsqu'on part en intervention, lorsqu'on combat le feu et qu'on aide les personnes malades. Ces boîtes sont juste un autre moyen d'aider".
"Pas de honte, pas de culpabilité, pas de noms" : voilà le mantra de Kelsey pour défendre ces petites boîtes, confiait-t-elle à CBN. Comme le souligne à juste titre le Washington Post, elle est anti-avortement, comme la plupart des défenseurs de ce système : elle considère que chaque enfant a le droit de vivre et qu'il faut protéger les intérêts de ces enfants non désirés, afin que les mères n'aient pas l'interruption de grossesse comme seul choix. Garantir à ces femmes leur anonymat et la sécurité de leurs bébés serait une manière de lutter contre la systématisation de l'avortement, ainsi que l'explique la présidente de Safe Haven Baby Boxes sur son site officiel. Pour plus de sécurité, le système des boîtes à bébé permet à la mère de changer d'avis et de récupérer son bébé jusqu'à deux mois après l'abandon : ce n'est qu'au-delà de ce délai qu'il devient disponible légalement à l'adoption et ne peut plus être récupéré par sa génitrice. Pour beaucoup, ces boîtes sont une réponse aux défaillances des autorités sanitaires, qui peinent à répondre à la détresse des mères en difficulté et à faire face à la précarité des nourrissons abandonnés.
Cependant, ces boîtes sont loin de faire l'unanimité. Dans un article de RTL.fr, l'association Save Abandoned Babies dénonce une "très mauvaise idée" car ces boîtes ne proposent aucune prise en charge de la mère. Lui offrir la possibilité de d'abandonner de cette manière l'incite à rester dans l'ombre : cela ne lui permet pas d'avoir accès à des soins médicaux pour l'accouchement et la prive aussi de l'opportunité durant sa grossesse d'être mise en relation avec un personnel médical qui, dans 25% des cas selon l'association, parvient à l'aiguiller vers une adoption ou un programme parental plutôt qu'un abandon. De plus, ces boîtes ne sont pas sans rappeler les "tours d'abandons" qui pullulaient en Europe au Moyen-Age pour permettre aux femmes d'abandonner anonymement les enfants illégitimes afin d'éviter le déshonneur. Avec cette méthode, "l'idée [pour la mère] que ce qu'elle est en train de faire est 'mal' et qu'elle devrait avoir honte est renforcée", insiste Dawn Geras, présidente de Save Abandoned Babies. Si les boîtes à bébé permettent donc d'améliorer les conditions de survie des enfants abandonnés, elles ne résolvent pas le coeur du problème : une prise en charge des mères en détresse trop lacunaire.
Autre mauvais point pour ces boîtes : l'ONU ne les voit pas non plus d'un bon oeil. En effet, elles pourraient faire entrave au droit de chaque enfant de connaître ses origines, selon un article de Slate. D'après les chiffres du journal, 200 boîtes à bébé avaient été installées sur le continent européen depuis 2000, dans des pays comme l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Suisse, la Pologne, la République Tchèque ou la Lettonie (11 des 27 membres de l'Union européenne ont encore des boîtes à bébé selon The Guardian). Et un rapport des Nations Unies publié en 2009 avait fait part de ses inquiétudes sur ce système. Pour l'organisation, le droit d'un enfant à connaître ses origines prime sur le droit d'anonymat de sa mère. Mais il est difficile de faire respecter cela lorsqu'on offre la possibilité à la mère de s'évanouir dans la nature sans le moindre contact en face-à-face lors de l'abandon de l'enfant. Le comité chargé de contrôler l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant estime en effet que ces boîtes à bébés vont "à l'encontre du droit de l'enfant à ce que son ou ses parents le connaissent et s'occupent de lui".
Et en France ? Bien qu'il n'existe pas de boîtes à bébé, l'accouchement sous X soulève le même type de problématiques : la peur des mères de devoir révéler leur identité et en laisser la trace malgré la garantie d'anonymat, l'immense difficulté que les enfants nés sous X ont à retrouver leurs géniteurs ...
Ces polémiques montrent bien les difficultés qu'il y a à trancher sur des questions engageant l'éthique et la morale de chacun : trouver l'équilibre entre droit de vie de l'enfant, anonymat de la mère et droit de connaissance des origines demeure complexe et reflète la difficulté pour la société moderne d'appréhender ces situations de détresse des familles sans prendre de parti.