En 1664, Molière fait dire à son Tartuffe, le roi des hypocrites : "Couvrez ce sein que je ne saurais voir !". En 2016, c'est les tétons que la bienséance condamne. A force d'hypersexualiser le corps de la femme, ses seins et plus particulièrement ses tétons sont devenus des objets pornographiques, tombant ainsi sous la censure des réseaux sociaux. Une photo dévoilant le téton a une durée de vie moyenne de quelques minutes sur Facebook ou Instagram. Personne n'y échappe : on ne compte plus le nombre de photos d'allaitement retirées des sites parce que jugées "pornographiques" ou les clichés de photographes, comme ceux de la talentueuse Maud Chalard, qui sont entachés par des vignettes floues cachant les tétons des modèles. Face à ce phénomène de censure, un véritable mouvement a même vu le jour, Free The Nipple, qui milite pour lever ce tabou notamment en photoshoppant des tétons masculins sur les seins nus des femmes pour montrer l'absurdité de cette censure. Quel que soit le cadre de leur exposition, les tétons féminins dérangent. Même lorsqu'il s'agit de sauver des vies.
C'était tout le problème de l'association argentine MACMA (Movimiento Ayuda Cáncer de Mama) qui lutte contre les cancers du sein. "Le cancer du sein est le type de cancer le plus fréquent chez les femmes. Le dépistage précoce sauve des vies : il y a des études qui montrent que dans 90% des cas où on découvre des tumeurs de moins d'un centimètre de diamètre (et donc détectées tôt), les chances de guérison sont énormes", explique sur la page d'accueil du site présentant leur spot de prévention. Monica Asturizaga, la directrice de MACMA. Pour prévenir les risques de cancer du sein, il est donc primordial que les femmes se fassent examiner régulièrement, et surtout, tôt. Or, si les réseaux sociaux sont certes pudiques, ce sont aussi d'incroyables vecteurs d'information : pour diffuser massivement leur message, MACMA tenait à passer par ces plateformes d'échange à échelle mondiale. DAVID , l'agence de pub qui a créé la campagne, explique à Buzzfeed : "Il est difficile de faire comprendre à une femme qu'elle doit faire examiner ses seins régulièrement à partir de 25 ans afin de prévenir les risques de cancer. Mais il n'y a rien de plus aisé que de les faire regarder leurs téléphones toutes les 5min. C'est pourquoi on a décidé d'aller les chercher sur les réseaux sociaux".
Et ils ont eu une idée brillante pour y parvenir sans tomber sous la coupe d'une pudibonde censure : utiliser un modèle masculin pour montrer les gestes de l'autopalpation des seins, qui ne remplace pas un dépistage médical mais peut permettre de détecter une douleur ou une grosseur qui incitera la femme à consulter un spécialiste. Car si les tétons féminins perturbent, les hommes conservent le privilège de se balader torse nu : leurs "moobs" (contraction de "man boobs", seins d'hommes en anglais), peu chargés d'érotisme, ne choquent personne, comme le rapporte le site Au féminin sur ce sujet. Cette campagne de prévention, en plus d'être hilarante et instructive, révèle le ridicule de ce tabou sur les tétons féminins : la société de consommation dénudent les femmes pour vendre, mais en aseptisant leurs corps, refusés dans leur réalité.
MACMA a donc créé un spot en espagnol et traduit en anglais. On y voit une femme ôter son T-shirt et dévoiler ses seins nus, ornés des logos de Facebook et Instagram qui cache ses tétons. "Les seins des femmes et [particulièrement] leurs tétons sont censurés sur certains réseaux sociaux même s'ils sont là pour montrer comment réaliser un examen sur soi-même afin de réduire les risques de cancer du sein. Alors on a trouvé une paire de seins qui ne seront jamais censurés : ceux d'Enrique", explique la vidéo. On voit alors un homme (Enrique ou Henry dans la version anglaise) se placer devant la femme, qui réalise sur lui les gestes d'autopalpation à pratiquer pour détecter d'éventuels signes précurseurs de cancer du sein. Les hashtags #ManBoobs4Boobs (Angleterre) & TetasxTetas (Argentine) sont apparus sur Twitter pour soutenir cette campagne.
Et l'objectif est atteint : en plus de dénoncer une censure controversée, cette vidéo, aussi improbable qu'originale, fait le buzz : elle a déjà été visionnée plus de 400 000 fois sur Youtube. Et c'est autant de femmes qui pourront éviter un cancer grâce à un dépistage précoce !