Trente heures. C'est désormais le nombre d'heures hebdomadaires qu'auront à travailler les fonctionnaires de Göteborg, à l'est de la Suède. Déjà championne – tout comme le Danemark – de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, la Suède n'est pas frileuse en matière de décision radicale pour améliorer le quotidien de ses travailleurs.
Alors qu'en France, droite et gauche s'écharpent sur la viabilité des 35 heures, la ville de Göteborg ne s'est pas posée la question : pour augmenter la productivité de ses fonctionnaires et garantir leur bien-être, mais aussi pour limiter les coûts, elle a mis en place en 2014 la journée de six heures dans le secteur public et ce, sans baisse de salaire.
Et pour le moment, l'expérience s'avère plutôt concluante. Interrogées par le Guardian , des infirmières passées à la semaine de 30 heures en février dernier sont très enthousiastes. "J'avais l'habitude d'être épuisée tout le temps, quand je rentrais du travail je m'écroulais sur le canapé, raconte Lise-Lotte Pettersson, qui travaille à la maison de soins de Svartedalens, à Göteborg. Mais plus maintenant. Je suis beaucoup plus alerte : j'ai gagné en énergie dans mon travail, mais aussi pour ma vie de famille."
Même constat à l'hôpital universitaire de Sahlgrenska, où chirurgiens orthopédiques font désormais des journées de six heures pour leur bien-être... et celui de leurs patients, la qualité des soins étant bien meilleure depuis que les travailleurs travaillent trente heures par semaine. "Depuis les années 1990, nous avons davantage de travail et moins de personnel - nous ne pouvons pas faire plus, explique Ann-Charlotte Dahlbom Larsson, chef de soins aux personnes âgées à la maison de soins de Svartedalens. Il y a beaucoup de maladies et la dépression au sein du personnel dans le secteur des soins sont causés par l'épuisement. Le manque d'équilibre entre le travail et la vie personnelle n'est bon pour personne."
Non seulement bénéfique pour la santé, la journée de six heures a aussi permis de créer des emplois : à Svartedalens, 14 personnes supplémentaires ont été embauchées pour pallier les journées de travail plus courtes. Les effets positifs sont tels que le secteur privé s'est aussi mis à la journée de six heures. Dans l'usine Toyota de Göteborg, cela fait treize ans que les salariés – mécaniciens et employés de bureau – l'expérimentent. Et ce, pour leur plus grande satisfaction. "C'est merveilleux de terminer sa journée à midi, commente Sandra Andersson, 25 ans, qui a rejoint Toyota en 2008. Avant d'avoir une famille, je pouvais aller à la plage après le travail. Maintenant, je peux passer l'après-midi avec mon bébé."
Les habitants de Göteborg ont-ils, en réduisant leur temps de travail hebdomadaire, trouvé la solution pour rester en meilleure santé et être plus productif au travail ? C'est ce qu'avance Roland Paulsen, chercheur en administration des affaires à l'Université de Lund. Interrogé par le Guardian, il explique que réduire les heures de travail va de pair avec une augmentation progressive de la productivité des travailleurs ces quarante dernières années. "Pendant longtemps, les politiciens ont été en compétition pour nous dire que nous devions créer davantage d'emplois avec de plus longues heures. Le travail était devenu une fin en soi. Mais la productivité des salariés a doublé depuis les années 1970 donc, techniquement, nous avons le même potentiel que si nous que pour une journée où nous travaillerions quatre heures. Reste désormais à savoir comment ces gains de productivité vont être distribués."
À l'heure où le "modèle scandinave" est érigé en exemple par nos politiques, ces derniers s'inspireront-ils prochainement de Göteborg ? Cela semble – du moins pour le moment - compromis. Quand Christiane Taubira affirmait en juin dernier, en plein débat sur la loi Macron, qu'elle rêvait "d'un monde où l'on pourrait travailler 32 heures par semaine", le Premier ministre Manuel Valls, lui, a préféré se montrer "pragmatique" et en érigeant le travail comme "valeur".
Selon les chiffres d'Eurostat et de l'OCDE , les Français salariés à temps plein travaillent en moyenne 40,7 heures par semaine, soit moins que la moyenne européenne, située à 41,5 heures. Elle est en revanche championne de la productivité devant l'Allemagne et le Royaume-Uni (mais derrière le Luxembourg, l'Irlande et la Belgique) avec un taux de 125,5.