Harcèlement sexuel : le milieu scientifique également affecté

Publié le Jeudi 26 Octobre 2017
Une équipe de chercheurs en Antarctique.
Une équipe de chercheurs en Antarctique.
La parole des femmes se libère dans tous les secteurs d'activité depuis le début de l'affaire Weinstein, pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles dont elles ont été victimes. Ce fléau, très répandu dans le monde du travail, s'étend également jusqu'aux domaines scientifique et universitaire. Explications.
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Les témoignages de femmes harcelées ou agressées sexuellement ne cessent de se multiplier depuis le début de l'affaire Weinstein. Sur Twitter, les hashtags #Balancetonporc et #Metoo ont permis de recenser plus de 60 000 agressions sexistes et misogynes, la plupart survenues sur des lieux de travail. Presse, télé, communication, photo, politique... tous les milieux professionnels y passent, de l'allusion perverse au geste déplacé, jusqu'à l'agression sexuelle en elle-même.

Quoi qu'on en pense, l'abus de pouvoir à des fins sexuelles est un fléau qui touche toutes les branches d'activité. Le site américain Science a publié les témoignages de plusieurs scientifiques (à l'époque étudiantes) qui accusent le géologue David Marchant de les avoir harcelées et agressées lors de différentes expéditions de recherches en petit groupe, en Antarctique, dans les années 2000.

"Chaque jour était terrifiant"

La géoscientifique Jane Willenbring est la première plaignante. Aujourd'hui professeure agrégée à l'Université de Californie de San Diego, elle affirme s'être faite insultée de "salope" et de "pute" par le directeur du groupe de recherches, qui lui aurait également demandé d'avoir des relations sexuelles avec le frère de celui-ci. Selon elle, David Marchant ressentait le besoin vital de la démolir, pour la reconstruire "à son image". La scientifique explique surtout avoir attendu octobre 2016 (après l'obtention de son agrément) pour déposer plainte, craignant les représailles de son bourreau qui aurait pu mettre un frein à sa carrière.

La deuxième plaignante, Deborah Doe (nom d'emprunt), qui était en Antarctique à cette même période, rapporte que David Marchant l'a insultée de "salope" à plusieurs reprises et menacée de lui bloquer l'accès au financement de la recherche si elle obtenait son doctorat. Une tentative d'intimidation qui l'a finalement poussée à mettre un terme à sa carrière et à quitter l'université.

Hillary Tulley, une enseignante de l'école secondaire de Skokie dans l'Illinois, décrit, elle, son expérience dans une lettre remise à l'Université de Boston. "Ses railleries, ses commentaires dégradants sur mon corps, mon cerveau et mes incompétences n'ont jamais cessé", écrit-elle, accusant David Marchant d'avoir tout fait pour l'épuiser et la pousser à quitter le groupe de recherches. "Chaque jour était terrifiant", a-t-elle commenté auprès de Science.

Toujours ce même silence

Deux hommes, témoins des agissements de David Marchant, disent aujourd'hui se sentir coupables de ne pas être intervenus. "C'est l'un des seuls vrais regrets que j'ai dans ma vie", explique Adam Lewis, à l'époque étudiant en troisième année avec Jane Willenbring et Hillary Tulley. "J'ai eu l'occasion de les défendre. Et je ne l'ai pas fait", confesse-t-il.

Aujourd'hui âgé de 55 ans et Président du département des Sciences de l'Université de Boston, David Marchant n'a pas souhaité s'exprimer officiellement, mais semble selon des documents consultés par nos homologues de Science, nier les accusations portées à son encontre par ses anciennes étudiantes. Très réputé dans le milieu universitaire, ce dernier devait être honoré en tant que membre de la Société américaine de Géologie (GSA) au cours du mois d'octobre, mais a finalement été destitué de ce privilège.

Comment lutter contre cette discrimination sexiste ?

La condition des femmes travaillant dans le domaine scientifique et dépêchées parfois dans des endroits du monde reculés, au sein de groupes réduits, pose questions. Selon un sondage publié dans PLOS ONE en 2014, 71% des 512 chercheuses de terrain interrogées avaient déclaré avoir déjà été harcelées sexuellement : 84% d'entre elles étaient stagiaires au moment des faits.

Comme pour l'industrie cinématographie, il semblerait que le meilleur moyen de lutter contre le harcèlement et l'abus de pouvoir à des fins sexuelles, soit l'équilibre des sexes lors de l'embauche. Car si beaucoup de femmes s'engagent dans une carrière scientifique, peu arrivent à des postes de dirigeantes et la plupart des institutions que nous considérons comme des modèles de la civilisation moderne, telles les universités, sont dirigées par des hommes. Rééquilibrer les pouvoirs, rééquilibrera les droits.

Le consultant en gestion Fabian Dattner et l'écologiste marin Jess Melbourne-Thomas ont cofondé en 2015, le programme Homeward Bound : une initiative internationale basée en Australie qui vise à augmenter le nombre de femmes occupant des postes à responsabilité dans plusieurs secteurs du domaine des sciences. Plus précisément, ils veulent élever 1 000 femmes à des postes de direction d'ici 2026. Affaire à suivre.