En France, pour peu que l'on ait sa propre bicyclette ou que l'on soit abonné Vélib, la seule chose à laquelle on pense quand on veut se déplacer à vélo, c'est éventuellement au temps qu'il va faire. Et, si l'on est en jupe, à une éventuelle astuce pour épargner la vue de notre culotte aux piétons.
On n'imagine pas qu'ailleurs dans le monde, certaines femmes, parce qu'elles ont osé enfourcher un vélo sans le consentement de leur époux ou tuteur, s'exposent à de lourdes sanctions. C'est pourtant le cas dans de nombreux pays. Alors qu'en Occident, les femmes ont dû batailler pour avoir le droit de pédaler librement, sans devoir subir l'autorité d'un homme à leurs côtés, c'est désormais dans d'autres parties du monde que se joue désormais ce combat pour leurs droits.
L'Arabie saoudite en est sans doute l'exemple le plus flagrant. Dans ce pays soumis à la loi islamique, les femmes n'ont obtenu le droit de se déplacer à vélo qu'en 2013. Elles doivent cependant respecter plusieurs conditions édictées comité de la promotion de la vertu et de la prévention du vice, et qui limite grandement leur indépendance : être habillées "décemment" (comprenez voilées de la tête aux pieds) et obligatoirement accompagnées par un homme de leur famille. Elles n'ont pas non plus le droit dans les lieux d'affluence masculine, pas plus que d'utiliser leur bicyclette comme moyen de transport quotidien. Autant d'entraves à leur émancipation que la réalisatrice Haïfaa el-Mansour a su parfaitement retranscrire en 2013 avec Wadjda. Dans ce film primé au Festival du film de Los Angeles, on suit Wadjda, une fillette qui rêve d'acheter un vélo pour faire la course avec son meilleur ami Abdallah.
Interdites de pédaler par les autorités morales ou religieuses de leur pays, les femmes sont pourtant de plus en plus nombreuses à s'affranchir des codes patriarcaux pour conquérir leur autonomie. Réunies en clubs, elles enfourchent leurs vélos et s'entraînent, loin du regard des hommes.
Shannon Galpin fait partie de ces aventurières qui militent pour le droit des femmes à se déplacer à vélo. Éprise des montagnes afghanes, cette ancienne prof de pilates originaire du Colorado fut la première personne à avoir traversé la vallée du Pandjchir en 2009. Fondatrice de l'ONG Mountain2Mountain, elle avait l'habitude de pédaler seule, jusqu'au jour où elle a eu la surprise de croiser d'autres femmes à vélo. Ces dernières, en tenue de cyclisme à manche longues, avaient replié leur voile sous leur casque et pédalaient en compagnie d'un entraîneur de l'équipe masculine de cyclisme. "Je ne pouvais pas y croire, raconte Shannon Galpin au New York Times. J'étais allée dans les zones les plus libérales du pays, et jamais je n'avais vu de petite fille sur un vélo, et encore moins une femme adulte."
Elle a alors un déclic : elle souhaite participer, elle aussi, à la libération des femmes afghanes, en les aidant à apprivoiser la petite reine. "Ces femmes ne sont pas différentes des autres Afghanes qui risquent leur vie pour aller à l'école ou pour se présenter au Parlement. Elles savent que le seul moyen de contester et de briser le tabou, c'est que les autres femmes les voient faire du vélo."
C'est aussi pour faire évoluer les mentalités que Mohamed Samy a fondé l'association Go Bike au Caire. Car si les femmes ont le droit de faire du vélo en Égypte, nombreuses sont celles qui y renoncent par peur d'être renversées par une voiture ou de se faire agresser. Dans ce pays où le harcèlement sexuel est un véritable fléau national, enfourcher sa bicyclette pour se rendre au travail ou à l'école a tout d'un parcours du combattant pour les femmes. En plus de devoir éviter les très nombreuses voitures qui circulent au Caire, les femmes doivent faire face aux remarques déplacées, aux regards appuyés et aux mains baladeuses, qui sont légion. Grâce à l'association Go Bike , qui organise des balades à vélo tous les vendredis, Mohamed Samy entend sensibiliser les pouvoirs publics à la nécessité de créer des pistes cyclables. Mais aussi d'aider les femmes à se réapproprier la ville en changeant "la vision de la société vis-à-vis de la femme qui monte à vélo".
Autre défi à relever pour les femmes : faire librement du vélo, comme pourrait l'être n'importe quelle activité, sans honte ni sentiment de déroger à ce qu'on attend d'elles. C'est notamment le cas aux États-Unis où les femmes issues des communautés afro-américaine et hispanique voient toujours le vélo comme une activité d'hommes blancs.
C'est pour cette raison qu'éclosent un peu partout dans le pays des clubs féminins et communautaires de cyclisme. En octobre 2013, Evelyn Martinez a ainsi créé l'Ovarian Psyco Cycles Brigade, le premier club féminin pour Latinas cyclistes de Los Angeles. Son objectif ? Convaincre les Latinas que le cyclisme est une activité sportive et ludique ouverte à tous, et qui n'a rien d'un loisir dangereux si l'on fait attention. Interviewée lors de la création du club par le Los Angeles Times, elle explique être "montée très tard sur un vélo à cause de l'appréhension parentale. Pour beaucoup de familles latinas, les femmes sont considérées comme fragiles et doivent être davantage protégées". Sa mère "lui répétait sans cesse que les bicyclettes étaient faites pour les hommes".
Même constat auprès de la communauté noire américaine, qui elle aussi a mis longtemps à enfourcher un vélo. C'est d'ailleurs pour convaincre les Afro-Américaines que leurs craintes étaient infondées que s'est créé, en 2011 dans la capitale américaine, le Black Women Bike DC, un club de cyclisme exclusivement réservé aux femmes noires. Veronica Davis, sa créatrice explique : "Les partisans du vélo en ville pensent que des groupes comme Black Women Bike DC [...] pourraient encourager les Afro-Américains à se déplacer davantage à bicyclette."