Pierre Pinaud : Plusieurs facteurs opportuns se sont combinés. Je travaillais sur ce scénario depuis un bon moment, et lorsque j’en étais à la sixième version, j’ai eu mon César pour « Les Miettes » (Meilleur court-métrage en 2009, ndlr). Cela m’a aidé à être lu par des comédiens très sollicités, et c’est déjà beaucoup. Ensuite, ils ont aimé…
P. P. : Je n’ai jamais négligé le court-métrage. J’aime travailler avec des scénarios aboutis quel que soit le format du film. Pour l’écriture j’ai tout de suite imaginé Karin Viard dans le rôle, j’avais besoin d’un visage et elle m’a semblé la plus à l’aise pour assumer les deux registres que je recherchais : la comédie et le drame. Le vrai challenge était de travailler avec des acteurs connus et reconnus comme Karin Viard et Nicolas Duvauchelle. La première fois que j’ai rencontré Karin, j’étais très intimidé, mais je devais malgré tout rester dans mon rôle de réalisateur, être convaincant, affirmer mes choix et ma vision du film. Karin est une actrice très exigeante et très pro mais qui ne met pas de barrière entre elle et les autres.
P. P. : Je pense que tout est parti de mon attachement particulier pour le thème de la transmission générationnelle, la question de ce que l’on reçoit de sa famille, ce que l’on ne reçoit pas, et ce qu’on aurait voulu recevoir… A partir de cette sensibilité je me suis documenté sur les enfants abandonnés qui font une quête tardive de leurs parents biologiques. Ensuite j’ai imaginé une femme qui s’inscrive à la fois dans le ressort dramatique et dans l’humour, l’ironie et le burlesque. Claire Martin, mon héroïne, a peur du contact affectif et cette peur se retrouve à l’image pour devenir un ressort de comédie. Son « haptophobie », la crainte du toucher, est un peu pathétique mais confine au comique.
P. P. : Cette quête ne peut qu’être déçue, cela fait partie de ce que j’ai appris de mes recherches et de mes rencontres avec des enfants abandonnés dans leur jeunesse. Il y a une telle idéalisation de la mère que les enfants abandonnés ont imaginé une victime, empêchée de garder cet enfant et empêchée de le retrouver. La confrontation de cette image maternelle enjolivée avec la réalité engendre forcément une déception violente.
P. P. : Je ne lui ai pas dit tout de suite que j’avais écrit le scénario en pensant à elle, pour ne pas l’angoisser. Pour qu’elle s’approprie le personnage nous avons beaucoup discuté de la façon dont s’exprimerait l’émotion dans le film. Je voulais que les sentiments passent en crescendo, qu’on observe la carapace de cette femme de 40 ans en train de se fissurer, et finalement une femme qui se retrouve et devient plus transparente. Pour son rôle en tant que Mélina, animatrice de radio, nous avons joué sur la spontanéité. Les auditeurs étaient vraiment dans une autre pièce du plateau, et le texte a connu quelques improvisations, avec quelques surprises de part et d’autre, qui ont aidé Karin à trouver un ton enjoué, libre et original.
P. P. : Dans le film une double quête se joue, celle d’une fille à la recherche de sa mère, et la quête inconsciente d’une femme pour un homme, un objet d’amour. La seconde ne peut aboutir sans la première. Claire a un besoin vital de clore son histoire familiale, entendre ces mots d’amour de sa mère, pour accéder au reste. Je voulais qu’on doute de ces deux personnages et de leur couple, une femme dans la parole et le son qui maîtrise totalement cet univers, phobique du contact physique, et un homme très physique au contraire, tactile, animal, avec un vrai sex-appeal. C’est pourquoi j’ai choisi Nicolas Duvauchelle et son pouvoir de séduction naturel, son personnage à lui (photographe, ndlr) est focalisé sur l’image et le regard des autres.
P. P. : J’écris beaucoup et depuis longtemps, mon ordinateur est plein de projets que je rêverais de concrétiser. Je suis jeune mais j’ai connu des années de galère et d’attente, amener ces projets aux spectateurs, comme je le fais aujourd’hui, serait immense. Beaucoup de réalisateurs m’ont fait rêver et donné cette envie de cinéma. Il y a Jean Renoir et « la Règle du jeu », chez qui j’admire la dimension humaine, l’élégance et le goût des acteurs, Yasujiro Ozu, et Frank Capra. Pour les contemporains, je suis fasciné par l’intelligence de Lars von Trier et par le travail de Nanni Moretti. Tous ces cinéastes sont très différents, mais comme eux j’aime porter des histoires.
Crédit photo : Estrella production
Filmographie de Pierre Pinaud :
« Gelée précoce » (court-métrage) 2000
« Submersible » (court-métrage) 2004
« Les miettes » (court-métrage) 2008, César 2009 du meilleur court métrage
« Parlez-moi de vous » (long-métrage), Meilleur film et meilleure actrice au Festival de la Réunion 2011
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