Oui, bien sûr. Dans un sens, l’imagination est la seule ressource que nous ayons, nous les artistes. Nous vivons à une époque où certains ont la plus grande liberté et les autres sont opprimés ; où les frontières entre le privé et le public s’estompent, comme les frontières entre la réalité et l’invention. Il semble qu’il n’y ait jamais eu une époque dans laquelle l’artiste avait tant de pouvoir pour présenter son œuvre au monde et créer son propre public avec l’aide d’internet, des groupes de réseaux sociaux, des forums de discussions… Il semble qu’il y ait une grande mobilité, sans même avoir besoin de bouger. Mais c’est aussi une époque où l’imagination est menacée. Où la source première de la création est bombardée comme elle ne l’a jamais été avant, et souvent par les mêmes gardiens qui promettaient tant de liberté – sur internet, les groupes de réseaux sociaux, les forums de discussions… L’artiste a toujours su qu’il occupait une position vulnérable dans la société – désormais le travail de l’artiste n’est pas seulement de créer – de diffuser dans le monde – mais va au-delà de ça – jusqu’à un nouveau type de responsabilités, du rôle de manager, de responsable marketing à celui de porte-parole. Je ne suis pas sûre que ces nouveaux rôles me conviennent, mais je crois que les technologies vont s’imposer et les imposer, changeant ainsi la façon dont on comprend les histoires, écoute la musique ou perçoit la peinture. Et dans un sens – la métamorphose des médias est simplement cela : un changement. Ce qui nous soutient à l’origine, c’est le pouvoir de l’imagination. Et tant que nous avons cela, nous aurons toujours une raison d’espérer.
Qu’est-ce qui l’incarne le mieux ?
Les passionnés. Je parle des artistes, mais bien sûr, j’entends aussi par là les scientifiques, les tisserands, les fermiers, les parlementaires, les poètes... Le rôle de l’imagination est d’alimenter la passion, et pour moi, quand je vois des individus profondément investis dans ce qu’ils ont choisi de faire, qui suivent leur chemin sans chercher la perfection, mais avec un sens de la dévotion, qui sont engagé dans une quête qui a moins à voir avec la vérité qu’avec la beauté, alors je suis émue, à chaque fois, de comprendre ce qui nous motive, nous les humains, ce qui nous fait faire des choses difficiles alors même qu’un choix plus facile s’offre à nous. Cela me semble être le cœur de la question – nous sommes tous portés par quelque chose dans la vie, l’amour, la passion, une vocation – et par-là nous n’exprimons pas seulement nos idées, mais nous essayons de donner du sens à ce qui nous entoure. Et cela me semble être la plus grande qualité qu’un homme puisse avoir.
Quelle serait l’initiative personnelle / le projet / l’œuvre qui concrétise votre raison d’espérer ?
Je m’intéresse aux marges, à ces territoires d’ombre qui nous entourent. C’est la forêt que l’on détruit, les animaux qui perdent leur habitat, les tribus qui disparaissent, les femmes, les enfants, et les personnes handicapés, les personnes qui viennent de l’extérieur et les étrangers… Je pense que j’aimerais être engagée dans des initiatives qui déplaceraient toutes ces choses de zones d’ombre jusqu’à la lumière. J’aimerais voir comment le monde serait si l’on inversait les rôles – si les impuissants acquéraient le pouvoir. J’espère que la corruption ne serait pas une qualité universelle, et que le changement serait possible si le pouvoir changeait simplement de mains.
Comment souhaiteriez-vous la transmettre aux générations futures ?
L’immortalité est une idée très humaine et séduisante. Nous avons un désir profond de laisser quelque chose derrière nous – pour la plupart des gens, cela consiste à faire des enfants. Mais j’ai toujours été plus intéressée par la création… Un artiste a la chance de laisser derrière lui ses idées, ses passions, ses rêves à travers son œuvre. Ce qui persiste dans l’avenir, ou non, est immatériel. L’important est de créer et d’agir comme si tout allait durer.
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