Téhéran, 1953. Dans un climat de troubles politiques et sociaux, sur fond de coup d’état, quatre femmes iraniennes issues de classes sociales différentes se trouvent réunies pour plusieurs jours. Fakhri, la cinquantaine, est prisonnière d’un mariage malheureux et en proie à ses sentiments pour un ancien amour fraîchement revenu des Etats-Unis. Zarin est une jeune prostituée qui, prise d’hallucinations, réalise anéantie qu’elle ne voit plus les visages de ses clients. Munis, jeune femme dotée d’une conscience politique, doit résister à la réclusion imposée par son frère, un traditionnaliste religieux, tandis que son amie Faezeh reste aveugle aux troubles qui envahissent les rues et rêve uniquement d’épouser le frère autoritaire de Munis. Alors que l’agitation prend de l’ampleur dans les rues de Téhéran, chacune de ces femmes va tenter de se libérer de son tourment, au moment où l’histoire de leur pays prend un tournant tragique…
Shirin Neshat, réalisatrice de « Women without men » nous en dit plus sur son premier long métrage.
Shirin Neshat : « Women without men » est un roman très connu en Iran et Shahrnush Parsipur est l’une des romancières iraniennes contemporaines les plus célèbres aujourd’hui. J’avais donc déjà lu ce livre étant plus jeune. Mais en 2003, lorsque j’ai eu envie de faire un long métrage, je me suis mise à lire de nombreux ouvrages, de femmes iraniennes principalement, et je suis naturellement revenue vers « Women without men ».
Mon attirance pour ce roman est principalement due au style surréaliste de la narration, permettant de mêler les éléments métaphoriques et la forme très visuelle que je souhaitais pour mon premier film. J’ai également été séduite par le fait que l’intrigue ait lieu pendant l’été 1953 au cours duquel l’Iran a été victime d’un coup d’Etat organisé par la CIA et qui a renversé le gouvernement du Docteur Mossadegh, Premier ministre pourtant démocratiquement élu. Bien que cet épisode ne soit développé dans le roman qu’en toile de fond, je lui ai donné davantage d’importance afin de montrer le visage de l’Iran avant la Révolution Islamique de 1979.
S. N. : J’ai cherché à contacter Shahrnush Parsipur dès que mon projet s’est concrétisé et j’ai découvert qu’elle vivait en exil aux Etats-Unis. Je suis donc allée en Californie pour la rencontrer. J’étais consciente que le livre avait été interdit en Iran dès sa publication. Shahrnush a d’ailleurs été emprisonnée à plusieurs reprises, dont une réclusion de presque cinq ans.
Notre rencontre a été un moment formidable. J’ai trouvé en elle une véritable source d’inspiration et nous sommes immédiatement devenues très proches. Si elle n’est pas intervenue dans l’écriture du scénario, elle a été très impliquée et d’une grande aide dans l’élaboration des caractères des personnages. Elle a par ailleurs un petit rôle dans le film : elle joue la responsable de la maison close. Elle était donc à nos côtés, au Maroc, pendant la majeure partie du tournage.
S. N. : Il y a eu plusieurs challenges. D’une part, du fait qu’il s’agissait de mon premier long métrage, je manquais d’expérience en matière d’écriture de scénario et de direction d’équipe. D’autre part, le roman que j’avais choisi de réadapter était un choix ambitieux en raison de son style surréaliste et de ces multiples personnages principaux nécessitant chacun d’être développé. En outre, le film revient sur un épisode historique et politique iranien que nous devions mettre en scène au Maroc avec un budget très modeste. Les difficultés étaient donc diverses, concernant à la fois des questions pratiques et artistiques.
S. N. : J’étais intriguée par la manière dont ces quatre personnages principaux, issus de classes sociales différentes et ayant des besoins et des problèmes propres, partagent le même désir de changement. En effet, chacune abandonne son passé pour embrasser un futur incertain et inconnu. Symboliquement, ces femmes partagent le même courage nécessaire à la lutte pour la liberté et l’indépendance, ce même courage qui les sortira de leur existence malheureuse.
S. N. : Le verger est un symbole très puissant, tant dans la littérature Perse et Islamique que dans la tradition mystique. Il représente un lieu sacré, le paradis ou un endroit dans lequel chacun peut être vraiment libre. Les Iraniens voient généralement dans cette métaphore du verger, une signification à la fois poétique et politique.
Dans le film, il est un espace d’exil, un refuge en dehors du temps dans lequel les femmes ont une seconde chance. Nous avons donc présenté le verger comme une allégorie, un lieu magique, en opposition avec le caractère temporel et très réaliste de la ville de Téhéran.
S. N. : Je pense que le message véhiculé est à la fois allégorique et politique. J’espère que le public, indépendamment de son sexe ou des contextes politiques nationaux, quittera la salle en ayant à l’esprit le courage dont les femmes mais aussi le pays ont fait preuve dans leur lutte pour le changement, la liberté et la démocratie, et ce, malgré les risques d’échec.
Ce film est adressé aux Iraniens ainsi qu’à tous les habitants des pays du Moyen-Orient afin qu’ils portent un regard différent sur l’Iran ; qu’ils voient le pays tel qu’il l’était avant la Révolution Islamique de 1979. Il s’agissait alors d’une société cosmopolite et démocratique dans laquelle les femmes étaient libres quant à leur pratique de la religion.
S. N. : Le livre étant interdit en Iran, le film l’est aussi. Toutefois, je suis assez fière qu’il ait été distribué sur les marchés noirs. Il semble que de nombreuses personnes l’aient d’ailleurs déjà vu. Le film suscite des débats tant pour ses valeurs artistiques, que son message historique et politique. Il y a des critiques mais aussi des éloges ; il ne laisse donc personne indifférent.
Aujourd’hui, dès lors qu’un film iranien revient sur les années 1950, il est considéré comme historique et attire l’attention. La raison ? Les Iraniens sont simplement nostalgiques de cette période pendant laquelle ils n’étaient pas si lourdement « islamisés ».
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