Des minimiss de 8 ans, maquillées et en talon, des mannequins de 10 ans couvertes de bijoux et posant lascivement dans Vogue, des adolescentes qui connaissent tout du Kâma-Sûtra ou presque… l’hypersexualisation des jeunes filles dont les médias font souvent leurs gros titres et qui fait l’objet du rapport rendu le 5 mars par la sénatrice UMP de Paris Chantal Jouanno, regroupe en réalité diverses manifestations. Mais il est sûr qu’Internet et les pratiques numériques qui y sont associées n’y sont pas étrangers.
D’après le sondage réalisé par l’institut CSA pour l’Observatoire Orange-Terrafemina avec NRJ sur les « lolitas version numérique », plus de 8 Français sur 10 considèrent que l’accès sur Internet à un contenu sexuel non adapté représente un danger pour les enfants et les adolescents. Ils sont 74% à penser que ce danger est équivalent pour les garçons et les filles, tandis que les parents de petites filles en primaire se montrent plus inquiets que les autres (15% contre 7%). Mais que font-elles donc sur Internet ?
« Elles n’arrêtent pas de se prendre en photo puis de se dire qu’elles sont belles sur Facebook », affirme la mère d’une jeune adolescente, interrogée lors du groupe focus organisé par l’institut WebLab-13 articles pour l’Observatoire. Cette nouvelle tendance à se mettre en scène sur Internet, la psychologue spécialisée dans l’enfance et l’adolescence Béatrice Copper-Royer la définit comme une « hypernarcissisation des jeunes filles car les réseaux sociaux les renvoient à leur image ». Or, poursuit-elle, « avec l’écran, le rapport à l’intimité et à la pudeur est bafoué ». En effet, la surenchère des images peut conduire à certains dérapages, comme des filles qui s’exhibent sur le net, alors qu’elles n’oseraient jamais le faire en face de leurs copains. Ces dérapages, le sociologue Michel Fize, auteur du livre « Les Nouvelles adolescentes » (éd. Armand Colin), les attribue à un « désir de séduction et de popularité ». C’est pourquoi il préfère le terme d'« hyperféminisation » à celui d'« hypersexualisation », car selon lui « il n’y a pas de désir de passage à l’acte sexuel, en tout cas pour les filles du primaire et d’une partie du collège ». Il est vrai qu’en France, l’âge du premier rapport sexuel reste 17 ans…
Pourtant, l’accès à des contenus sexuels voire pornographiques est particulièrement facile sur Internet, d’autant qu’il est gratuit. Avec 260 millions de pages pornos sur le Web, quelle est la probabilité pour qu’un enfant tombe sur l’une d’entre elles ? 52% des Français interrogés par l’institut CSA affirment ainsi que l’accès sur Internet à des contenus à caractère sexuel rend les jeunes filles plus vulnérables car plus influencées. Pour M. Fize, « Internet oriente les pratiques : on s’embrasse plus tôt, les attouchements sont plus précoces et plus osés ». Selon lui, les filles en arrivent à anticiper les désirs des garçons, elles prennent des initiatives dès la fin du collège, et après la 3e, les élèves entrent dans un jeu sexuel plus élaboré qu’avant.
En plaçant la sexualité des jeunes sous influence, Internet véhicule également une image de la femme caricaturée. « A force de voir des hommes dans des positions dominantes et des femmes soumises, on réenclenche une vision rigide des rapports hommes-femmes, » analyse M. Fize. Dans son rapport, C. Jouanno constate « une réapparition des stéréotypes sexués dès le plus jeune âge et une hypersexualisation globale de la société qui véhicule une image dévalorisée de la femme face à l'homme en reproduisant les codes de la pornographie ». Selon elle, c’est la société toute entière qui porte atteinte à l’image de la femme. « Autant je suis confiante dans notre capacité à prévenir l'hypersexualisation des petites filles, autant je crois urgent de prendre conscience de la régression de l'image de la femme corsetée dans le primat de l'apparence "sexy"», affirme la sénatrice.
Les parents aussi gardent confiance. Ainsi, selon notre sondage, 42% des Français estiment qu’il faut laisser les filles se faire leur propre idée en leur donnant tout de même des conseils. Naïveté ou réalisme ? Sur Internet, impossible de tout contrôler en permanence. Mieux vaut donc accompagner les enfants, comme le conseille la psychologue pour enfants B. Copper-Royer : « Je pense que les parents ont une éducation à faire, un contrôle à mettre en place. Il faut qu’ils rappellent à leurs enfants les valeurs, et les notions d’intimité et de pudeur. » Les mères présentes au groupe focus de notre Observatoire l’ont bien compris. « C’est à nous de leur dire sans arrêt que ce n’est pas la réalité », explique l’une d’elles. « Elle avait mis des photos olé olé, on en a parlé et on les a supprimées, » renchérit une autre.
L’important est de ne pas laisser Internet se charger seul de l’éducation sexuelle des enfants. « Tout le monde la revendique, mais personne ne la fait, » s’insurge M. Fize. Les parents n’osent pas, ou bien se laissent déborder par des codes ados qu’ils ne maîtrisent pas. Les enseignants n’ont pas le temps de dispenser les heures d’éducation sexuelle règlementaires.
Le gouvernement, lui, réfléchit activement aux moyens de prévenir cette hypersexualisation. C. Jouanno propose dans son rapport de rappeler les conseils de base aux parents concernant le numérique. « L’enjeu fondamental est celui de l’usage des smartphones : nous serions favorables à ce que les systèmes de contrôle parental, et notamment le blocage des sites pornographiques ou violents soient systématiquement intégrés et activés à la vente, » préconise le rapport.
Une charte pour la protection de l’image des enfants dans les médias, réalisée à la demande de la ministre des Solidarités et de la cohésion sociale Roselyne Bachelot, vient d’être publiée et présentée aux différents médias en vue de leur adhésion. Les signataires s’engagent notamment « à ne pas diffuser, y compris dans les espaces publicitaires, d’images hypersexualisées d’enfants, filles comme garçons, notamment dans une mise en scène érotisée ou portant des vêtements, accessoires ou maquillage à forte connotation érotique ».
Parmi les autres mesures fortes avancées par C. Jouanno, l’interdiction pour des marques de choisir des égéries âgées de moins de 16 ans, ou encore l’interdiction des concours de beauté pour les moins de 16 ou 18 ans.
A l’école, la question de l’interdiction des tenues indécentes est posée. 83% des Français sont favorables à une loi en la matière, selon l’institut CSA. Mais comment poser les limites de l’indécence ? Dans son rapport, C. Jouanno préconise une réflexion nationale sur des tenues « respectueuses ». Il faudrait définir des longueurs de jupes, des types de pantalon, des parties du corps à ne pas exhiber, voire revenir aux uniformes comme c’est le cas en Grande-Bretagne par exemple ? Les lolitas ont le temps de grandir.
Crédit photo : Purestock
Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina
L'étude qualitative par l'Institut Treize articles WebLab
Les lolitas version numérique : l'interview de Chantal Jouanno
Les lolitas version numérique : l'interview de Michel Fize
Les lolitas version numérique : l'interview de Béatrice Copper-Royer
L’image des enfants dans les médias protégée par une charte
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