Thierry Happe : C’est un terme un peu grandiloquent, mais nous pensons en effet que nous avons dépassé avec les outils numériques un cap technique pour explorer les aspects de la vie sociale, économique et culturelle. Des convictions, des idées, peuvent donner naissance à des produits ou concepts, même développés avec des solutions low tech, qui impactent sur la société, améliorent le quotidien. Quand on voit le nombre de personnes désormais connectées, l’accès via les mobiles, tous les phénomènes Open Source, il y a une réelle opportunité à utiliser cet écosystème de diverses façons : business, économie sociale, etc. Je pense par exemple que la mobilisation citoyenne ou militante sur Internet, l' « activisme 2.0 », représente un élément structurant pour l’avenir.
T. H. : L’aspect humain constitue justement un point d’inflexion face à la tendance du « Track and profile », les internautes sont en train de réaliser qu’ils sont encerclés dans cette société numérique, avec l’émergence des problématiques sur l’identité numérique, le droit à l’oubli… Mais dans le même temps on assiste à la naissance d’autant de phénomènes de contre-pouvoir, qui s’inscrivent en équilibre avec cet effet « Big brother ». L’aspect humain finit toujours par pointer, voire reprendre le dessus.
T. H. : La gestion des identités multiples sur Internet pose de nombreuses questions. Là encore, c’est un mécanisme de défense face au fait d’être traqué et fiché au moindre clic. L’un de nos lauréats Netexplo 2012, la société indienne AADHAAR, a eu l’idée de créer la première base biométrique de la population indienne. Sachant que la démographie de l’Inde dépassera celle de la Chine en 2030, il s’agissait de remédier à une anomalie de l’administration indienne. En effet des lois ont été votées pour aider les 400 millions de pauvres du pays, mais ceux-ci, faute de papiers d’identité, ne bénéficient pas de ces aides qui restent dans les caisses de l’Etat. Le numérique permettrait ainsi de passer du 19e au 21e siècle en remédiant à la défaillance administrative. Mais ce projet censé sur le principe, pose des questions : quelle utilisation pourra être faite de ce fichier ? Des débordements des autorités au pouvoir ne sont-ils pas à craindre ? De leur côté les citoyens ne seront-ils pas tentés par les identités multiples, qui sont autant de masques pour se sentir libre, ou pour frauder ?
T. H. : A l'origine, les réseaux sociaux sont nés dans une culture de partage, de transparence et de plaisir, mais nous pensons que cette culture est en train d’évoluer vers des relations d’influence et de business. Nous nommons cette tendance « Sway capital ». C’est tout l’enjeu du « Klout Score », qui analyse et classe entre 0 et 100 votre influence sur l’ensemble des réseaux sociaux. Les informations partagées avec nos amis et connaissances servent le développement de notre influence numérique. On doit devenir quelqu’un qui a une valeur numérique, et l’acte majeur est celui de la « recommandation », qui peut nous rendre important également pour une marque. Ce principe de recommandation pourrait même se substituer à la nature des recherches sur Internet. Au lieu de chercher un restaurant sur Google, on pose une question sur les réseaux sociaux, pour obtenir les avis et bons conseils des personnes de son réseau. L’évolution de ces relations virtuelles est de fait, passionnante à observer.
T. H. : Non, l’exigence de transparence fait partie de l’ADN d’Internet. Cela en devient presqu'une contrainte : quelqu’un qui ne s’exprime pas sur le net est suspect. Sur le sujet de l’Open data, de la transparence des données officielles par exemple, on constate qu’il n’est pas si facile d’y accéder. Une sorte d’hypocrisie s’est installée sur ce sujet. Je suis très étonné qu’on ne voie pas naître une remise en question plus intense du système. Par exemple, quand on connaît les chiffres de Facebook : 3,71 milliards de chiffre d’affaires en 2011, pour un effectif de 3200 collaborateurs, c’est énorme. Qu’est-ce qui retient les internautes de réclamer leur part du gâteau, puisque ce sont eux qui font vivre Facebook avec leurs données et leur activité ?
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