Manuel Diaz : Le mot « guerre » n'est pas représentatif de ce qu’on attend du Web, mais en effet, c’est la première campagne qui accorde un tel poids au numérique, et votre étude* le prouve : le digital arrive en deuxième position après la télévision. L’année 2012 est en effet le moment charnière où les usages se sont installés, un Français sur deux est connecté, 28 millions sont sur Facebook. Cette campagne ne devait pas être « plus » digitale que les autres, mais à la hauteur des usages de la société. La campagne numérique de 2007 était centrée sur les blogueurs et les influenceurs, et non sur les gens eux-mêmes. Pour la première fois aussi dans une campagne, la question de la synchronisation des médias s’est vraiment posée pour les communicants : notre stratégie consiste en permanence à tenir compte de tous les canaux et à choisir les meilleurs pour diffuser nos messages.
M. D. : En premier lieu, la relation des candidats avec la sphère numérique s’est affranchie des intermédiaires. Les messages ne sont plus forcément transmis aux médias puis commentés par la blogosphère, ils peuvent être directement diffusés auprès de millions d’internautes. La deuxième nouveauté émane de l’open data –l’accès libre aux données officielles-, qui rend possible le fact-checking, votre étude pointe l’intérêt des citoyens pour cette disponibilité des informations -48% des Français estiment que la vérification factuelle des propos des candidats est plus facile qu’avant, ndlr. Cela nous a permis d’innover avec une application pour smartphone qui répertorie le bilan de l’action du président par département. Ces nouveaux moyens changent le rythme de la campagne, en vous donnant accès au bilan du candidat sur votre territoire, près de chez vous, comme pour une campagne législative. Le digital nous apporte un niveau supérieur de granularité d’information et de contextualisation. Le troisième facteur différenciant de cette campagne, c’est le mobile qui augmente considérablement le taux de répétition. Nous appelons cela le « marketing de la patience », en salle d’attente, dans le bus, tous ces temps se sont numérisés, et cela accroît le taux d’intimité possible avec les gens.
M. D. : Les Français ne sont pas dupes, ils savent que les candidats ne peuvent pas passer leur journée sur Facebook. D’ailleurs on a tendance à critiquer les ministres qui twittent beaucoup… La vraie nouveauté c’est de pouvoir investir les réseaux sociaux pour diffuser de l’information politique. Le partage de news sur Facebook auprès de ses amis replace la chose politique dans un cadre privé, et ces « messages cooptés » ont un impact beaucoup plus fort, un peu comme les avis de consommateurs sur les sites de e-commerce. Par ailleurs, le storytelling reste au centre de nos préoccupations, que ce soit sur le site lafranceforte.fr, sur nos applications, sur Facebook et dans les meetings, nous relayons la même histoire, par des images des coulisses de la campagne, des rencontres avec des entrepreneurs et des propositions. J’ajoute que le format de la « web-série » a été exploité aussi durant cette campagne, notamment par les équipes de Jean-Luc Mélenchon qui ont fait un travail remarquable.
M. D. : Notre obsession a été de mettre les sympathisants en situation de mobilisation, et de récompenser leur engagement. La plateforme NSConnect est reliée à Facebook, Twitter, Foursquare et le site lafranceforte.fr. Par une proposition de gaming (« jeu », ndlr) nous transformons les curieux et sympathisants en acteurs de la campagne. Ils reçoivent des sollicitations pour des défis à relever quotidiennement, comme de partager un article avec leurs amis, proposer des idées, venir au rassemblement place de la Concorde le 15 avril et en parler à leurs proches, etc. Finalement, l’enjeu majeur du digital dans la campagne est là. Organiser des batailles de hashtags sur Twitter ne bouleversera pas les intentions de vote, mais donner aux gens l’occasion de se mobiliser, c’est cela qui change les choses.
M. D. : C’est la première campagne qui met à profit les réseaux sociaux, et par là la première qui nous donnera un feedback sur ces nouveaux outils. Nous avons les chiffres des audiences de Facebook, ce qu’on appelle le « reach », à savoir le nombre de personnes touchées directement ou indirectement, mais la corrélation entre le « reach », l’impact et les votes ne pourra être faite qu’après l’élection. Nicolas Sarkozy est en effet numéro un sur Facebook, entre la timeline Nicolas Sarkozy (596 403 personnes « aiment ») et la page « fan » (91 560 abonnés), et cela lui permet de mener sa campagne au milieu des Français, et non pas auprès de quelques influenceurs actifs sur Twitter.
M. D. : Les sites de candidats ne sont pas des médias, ce sont au mieux de gros blogs, mais leurs audiences restent marginales en effet. Ils s’inscrivent dans un dispositif « distribué », une stratégie multicanal. Lorsqu’on on cumule la chaîne Youtube, les pages Facebook et les sites amiraux, l’audience est déjà nettement plus significative. Pour rappel : Facebook représente deux fois l’audience d’un JT de 20 heures en termes de Français touchés.
*Enquête réalisée par l’Institut CSA et Treize Articles pour Orange et Terrafemina, réalisée en ligne auprès de 1006 personnes âgées de 18 ans ou du 27 au 29 mars 2012. Echantillon constitué selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle après stratification géographique par région de résidence et catégorie d’agglomération.
Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina
L'étude qualitative par l'Institut Treize articles WebLab
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