Culture
Présidentielle 2012 : la Web campagne tient ses promesses
Publié le 11 avril 2012 à 09:00
Par Marine Deffrennes
Pour quatre Français sur dix, Internet fait désormais partie des médias privilégiés pour s'informer sur la campagne présidentielle. Pour sa 12e vague, l'Observatoire Orange-Terrafemina dresse le bilan d’une Web campagne inédite. Plus dense, plus rapide et plus intrusive, la bataille politique a définitivement changé de visage et de rythme en 2012 ; a-t-elle convaincu les électeurs ?
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Le non-débat entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon restera dans les annales de la campagne présidentielle de 2012, et dans celles de la Web campagne. Outre une très belle audience pour France 2 – 5 millions de téléspectateurs- le soir du 23 février, et pour le site de l’émission « Des paroles et des actes » -500 000 pages vues en une journée -, la séquence a réalisé une des plus fortes audiences sur les réseaux sociaux (selon les statistiques mesurées par devantlatélé.com), avec notamment 42800 tweets identifiés avec le hashtag #dpda, auxquels il faut ajouter les centaines de milliers de vues sur Youtube dans les jours suivants. Bien plus qu’une télévision de rattrapage, le Net est devenu le deuxième média d’information des Français pour suivre la campagne présidentielle : 40% d’entre eux le citent comme l’un des médias principaux, après la télévision (74% de citations), et juste devant la radio (34%), d’après l’enquête CSA* réalisée pour l’Observatoire Orange-Terrafemina qui pose la question de l’influence réelle de la Web campagne sur le débat, à moins de 15 jours du premier tour.

Les rédactions Web et les candidats n’ont pas lésiné pour mener la bataille de la présence  numérique. Selon l’AFP, l’enveloppe digitale des budgets de campagne a été doublée dans les grands partis –entre 6 et 7% du budget total. Tous les candidats se sont déployés sur la Toile, mettant en ligne un, voire deux sites de campagne léchés et conçus par des pointures du Web design, investissant tous les réseaux sociaux connus (Facebook, Twitter, Foursquare, Flickr, etc.) et recrutant la crème des community managers pour embarquer les foules numériques dans leur combat.

Une minorité d’internautes politiquement actifs

Mais en fallait-il autant pour contenter les cybercitoyens ? Parmi ceux qui utilisent Internet comme source d’information pendant la campagne, une large majorité consulte en priorité les portails d’actualité type Yahoo!, Google Actu ou Orange (59% de citations), et les sites des grands médias (lemonde.fr, lefigaro.fr, europe1.fr, etc.), tandis que les sites de candidats et de leurs partis ne sont fréquentés que par un internaute sur dix. Si 36% des Français vont au moins une fois par semaine sur Internet pour rechercher des informations sur l’actualité politique,  une majorité (53%) reste « passive » face à cette actualité, tandis que se détache une minorité de 13 % de personnes très actives qui regardent des vidéos, réécoutent des interviews en podcasts, partagent des articles par mail ou sur les réseaux sociaux. D’après le groupe de cybercitoyens réuni par l’institut Treize articles-weblab, dans le cadre de l’Observatoire Orange-Terrafemina, ces e-militants peu nombreux sont néanmoins bien visibles sur Facebook, « ils essaient de convaincre », à la moindre actu « ils laissent un commentaire et il y a débat », quitte à « importuner » leurs amis en prolongeant un peu trop les discussions militantes.

« Les réseaux sociaux se sont politisés »

Les réseaux sociaux semblent ainsi largement jouer leur rôle d’agents « viralisateurs » de la campagne, participant à l’effet de surinformation voire de saturation ressenti par l’internaute : « Sur Facebook, il y a toujours quelqu’un pour vous rappeler la campagne », explique un invité du groupe Treize articles-weblab, qui évoque des « batailles politiques » entre « amis » à coups de « like », de commentaires, de parodies et de détournements. Parmi les internautes utilisant Internet comme source d’information sur l’élection présidentielle, 15% déclarent ainsi consulter régulièrement les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.). Est-ce à dire que les murs de discussion et les flux de tweets politiques ont une réelle influence sur l’opinion ? La réponse varie en fonction de l’audience de ces réseaux. Malgré l’emballement médiatique autour de Twitter, et l’investissement des candidats sur la plateforme de micro-blogging, son influence serait délétère : 5 millions d’utilisateurs, c’est insuffisant pour prétendre toucher l’opinion publique de façon significative. Ultra fréquenté par les journalistes et les milieux politisés, « Twitter est un outil militant pour défendre un camp, non pas pour argumenter », analyse le journaliste et blogueur Erwann Gaucher, qui relève néanmoins que pour les candidats « ces messages courts sont efficaces pour diffuser une petite phrase auprès de milliers de journalistes, qui s’en servent comme d’une AFP en format réduit ».

L’apport de Facebook


L’influence de Facebook semble plus évidente. Avec ses 28 millions d’utilisateurs, le réseau offre aux candidats un moyen formidable de démultiplier leur présence numérique. Selon une mesure de la société de marketing digital socialbakers.com  -obtenue par la multiplication du nombre de « j’aime » et de commentaires par le nombre de fans de la page du candidat-, Jean-Luc Mélenchon a potentiellement atteint 95 millions d’internautes au mois de mars, devant Nicolas Sarkozy qui en  toucherait 27 millions, et François Hollande (23 millions). « Le partage de news sur Facebook auprès de ses amis replace la chose politique dans un cadre privé, et ces « messages cooptés » ont un impact beaucoup plus fort, un peu comme les avis de consommateurs sur les sites de e-commerce », explique Manuel Diaz, président de la société emakina et artisan de toute la stratégie numérique de Nicolas Sarkozy. De là à présumer d’une influence de cette viralisation sur les intentions de vote, peu de commentateurs y croient, et les Français n’en sont pas plus convaincus. 44% des sondés estiment qu’Internet ne permet pas de faire émerger de nouveaux sujets dans la campagne, et 58% estiment que le Web ne permet pas de rééquilibrer la visibilité médiatique des candidats. Pour la politologue Isabelle Veyrat-Masson, Internet, par sa dimension interactive, peut néanmoins devenir le lieu où les électeurs « concrétisent leur sentiment politique en une opinion », puisqu’ils peuvent participer à cette « conversation » qui est « le premier mode d’influence dans le débat politique ».

« Fact-checking » : la nouvelle donne

En outre, 38 % des Français estiment positive l’influence du Net sur le débat politique, « car il permet de mieux s’informer et de mieux échanger entre citoyens ». Pour autant ils ne se sentent pas plus proches des candidats depuis que ceux-ci se fendent de quelques tweets ou posts soigneusement diffusés par leurs nègres numériques -53% des sondés pensent qu’Internet n’a pas favorisé la proximité entre politiques et citoyens. C’est bien plus le « fact-checking » qui rend cette campagne intéressante : 48% des Français jugent en effet que la vérification factuelle des propos des candidats en direct est plus facile qu’avant. L’open data –l’accès aux données officielles en ligne- et la mémoire du Web se sont mises en branle, changeant définitivement la donne pour les candidats et leurs équipes, contraints à beaucoup plus de cohérence et de vigilance. « C’est la campagne où l’on a vu le plus d’expériences de fact-checking se mettre en place », note E. Gaucher, qui cite pour exemple le « véritomètre » diffusé chaque jour sur iTélé en étroite collaboration avec le site OWNI.fr. « Avant il était jouable de donner un chiffre erroné lors d’une interview télévisée à 20 heures, fait-il remarquer, sans qu’on craigne d’autre réaction qu’un papier dans la presse écrite un ou deux jours plus tard. Sur Internet, les citoyens et les journalistes répliquent dans l’heure si ce n’est en direct via les réseaux ».

TV+Internet : La combinaison gagnante

Submergé par ce bouillonnement numérique, le citoyen spectateur de la « Web série présidentielle » continue de compter en priorité sur la télévision pour s’informer (74% des sondés citent la télévision comme média privilégié de la campagne).  Dans cette nouvelle configuration, Internet devient un prolongement indispensable du petit écran, à la fois caisse de résonnance, agora participative et outil de fidélisation grâce aux sites de « replay » ou de « catch TV » (« télévision de rattrapage »). Ainsi les meetings des candidats, auparavant réservés aux militants les plus endurants, sont désormais massivement vus sur Youtube ou Dailymotion, comme cette intervention de François Bayrou à Grenoble le 19 Mars, et dont la captation a été classée dans le « Top 10 » des vidéos les plus virales du mois par l’agence de veille ebuzzing Labs. Autre signe d’un resserrement étroit entre la télévision et Internet : le Live. Ce format de couverture des évènements minute par minute, scénario en construction d’un feuilleton à rebondissements, a été rôdé par les rédactions web lors de l’affaire DSK, puis s’est imposé aux chaînes d’information et aux staffs des candidats, condamnés à réagir vite, bien et au bon endroit. Car sur Internet plus qu’ailleurs, « le storytelling reste la préoccupation centrale », confie Manuel Diaz. Une machine capable de s’enrayer à la vitesse d’un clic. Si les costumes du  candidat peuvent toujours être retouchés, sa e-réputation ne lui laisse pas droit à l’erreur.

*Enquête réalisée par l’Institut CSA et Treize Articles pour Orange et Terrafemina, réalisée en ligne auprès de 1006 personnes âgées de 18 ans ou du 27 au 29 mars 2012. Echantillon constitué selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle après stratification géographique par région de résidence et catégorie d’agglomération.

Résultats de l'Observatoire Orange-Terrafemina sur les lolitas version numérique

Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina
L'étude qualitative par l'Institut Treize articles WebLab

VOIR AUSSI

Web campagne 2012 : « décliner le storytelling dans la sphère numérique »
Web campagne 2012 : « les partis ont surestimé le rôle d'Internet »
Web campagne 2012 : « Le live et le fact-checking ont imposé leur rythme »

Mots clés
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