Culture
Gaming citoyen : « Afroes », des jeux sur mobile pour transformer l'Afrique
Publié le 21 avril 2012 à 09:00
Par Marine Deffrennes
Née au Kenya, Anne Githuku-Shongwe rêve de voir les jeunes Africains se saisir de leur destin et de celui du continent. Avec le projet « Afroes », elle crée des « jeux pour le changement », pour toucher le plus grand nombre et faire naître une « identité africaine positive ». Pour elle, l’innovation numérique sert le progrès social, économique et humaniste. Elle fait partie des 10 lauréats 2012 des Netexplo. Rencontre.
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Terrafemina : comment est né le projet Afroes ?

Anne Githuku-Shongwe : Je cherchais un moyen de toucher les jeunes Africains avec des messages dont ils pourraient se saisir, je voulais voir naître une génération qui trouve des solutions aux problèmes, et non une génération d’apathiques qui attendent que le gouvernement se penche sur leurs difficultés. J’avais travaillé pour les Nations Unies pendant plusieurs années ; je savais que les méthodes traditionnelles que l’on mettait en place ne fonctionnaient pas, il n’y avait pas d’innovation pour responsabiliser et stimuler les gens. Je voulais les inciter à s’investir pour le futur de l’Afrique, qu’ils construisent une identité africaine positive. En tant que mère de trois adolescents, je me suis demandé comment je pouvais les influencer eux et leurs amis pour qu’ils se soucient de l’Afrique et ne dépensent pas leur énergie à se demander comment ils pourraient s’envoler pour la France !

Tf. : Pourquoi utiliser les jeux vidéo ?

A. G.-S. : Je voyais mon fils jouer aux jeux vidéo, je ne cessais de le sermonner pour qu’il s’arrête parce que je trouvais qu’il y passait trop de temps. Il m’a alors montré tout ce qu’il apprenait. Avec les jeux FIFA par exemple, où il devait assumer le rôle du coach d’une équipe de football. Il m’a dit « Maman j’ai appris à être un chef grâce à ce jeu ! » (rires). J’ai réalisé que c’était un outil très puissant. J’ai pensé que je pourrais être plus percutante qu’avec les médias traditionnels. J’ai surtout réalisé que dans ces jeux, vous êtes mis à l’épreuve en permanence, comme dans la vie, où l’on doit sans cesse formuler des choix qui ont des conséquences positives ou négatives. Je me suis dit : « pourrions-nous commencer à challenger les jeunes Africains pour qu’ils inventent de nouveaux scénarios où l’Afrique serait prospère ? »

Tf. : Comment créer des jeux « citoyens » qui séduisent ce jeune public plus habitué au football ou aux jeux de guerre ?

A. G.-S. : Nous voulions délivrer trois messages : espoir, possibilité et prospérité. Ce sont les thèmes majeurs de notre projet. Mais nous avons veillé à garder le côté « fun » dans ces « jeux pour le changement ». Par exemple, nous nous sommes associés au Fonds pour l’enfance de Nelson Mandela, qui voulait trouver un moyen de convaincre les jeunes de prendre soin les uns des autres. L’Afrique du Sud a le taux le plus élevé d’enfants abusés et kidnappés dans le monde, une campagne d’envergure a été lancée intitulée « Champions for children » pour stopper ces abus. En parallèle on nous a demandé des outils pour diffuser ce message. Nous avons créé « Champ Chase » (« poursuite de champions »), pour les 8-12 ans. C’est une sorte de « Super Mario », où vous évoluez dans les mêmes univers que dans le jeu que tout le monde connaît, mais avec la mission de retrouver des enfants enlevés pour trafic ou abus sexuels, et de les ramener à la police. Au cours du jeu, des messages apparaissent en pop-up, avec les numéros d’urgence, et des messages d’incitation à la prudence. D’autres jeux s’adressent aux adolescents ou aux jeunes adultes. Ils traitent des violences faites aux femmes, du respect de l’environnement, de justice sociale, ou de l’histoire de l’Afrique, en mettant en scène les héros de notre continent. En Europe, tout le monde s’intéresse à l’histoire et la célèbre, ne serait-ce que dans les musées, en Afrique ce n’est pas pareil, pour nous c’est une façon de rendre plus accessible et plus vivante la culture africaine.

Tf. : Le taux d’équipement en mobiles vous permet-il de toucher un grand nombre de jeunes dans ces pays ?

A. G.-S. : Ce jeu est disponible sur un téléphone de type Nokia, le mobile le plus courant en Afrique. Vous devez vous connecter une seule fois à Internet pour le télécharger, ensuite il est enregistré. 28 millions de Sud-Africains de moins de trente ans ont un téléphone portable. Ils peuvent aussi utiliser le téléphone de quelqu’un d’autre avec un code personnel. Nous développons des applications sur Java, Android (qui se développe beaucoup en particulier au Kenya) et Flash.

Tf. : Les dix lauréats Netexplo incarnent le monde digital de demain. Pensez-vous que les nouvelles technologies contribuent à améliorer nos sociétés ?

A.G.-S. : A travers l’Afrique, 300 millions de jeunes ont accès à un téléphone mobile, si nous parvenons à atteindre chacun d’entre eux avec des messages importants, avec des idées et des solutions, nous pouvons changer leurs vies. En tout cas c’est le seul moyen de toucher le plus grand nombre, car en Afrique la télévision et la radio restent des médias ancrés localement. Pour toucher tout le continent, le meilleur moyen est d’utiliser les technologies digitales et le mobile.

Le site Netexplo

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