Culture
Bien-être et coaching en ligne : « une autre façon de prendre soin de soi »
Publié le 28 juin 2012 à 08:49
Par Marion Roucheux
Stress au travail, pression du quotidien, société en perte de repères : le bien-être est devenu un secteur refuge. La multiplication des outils numériques qui y sont dédiés ainsi que l’évolution des pratiques en ligne font d’Internet un nouvel espace où l’on prend soin de son corps. Décryptage avec Aurélien Fouillet, chercheur au CEAQ (Centre d'Études sur l'Actuel et le Quotidien), coresponsable du GESCOP*.
Bien-être et coaching en ligne : « une autre façon de prendre soin de soi » Bien-être et coaching en ligne : « une autre façon de prendre soin de soi »© Pixland
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Terrafemina : Les Français apportent un soin croissant aujourd’hui à leur bien-être corporel. Ils sont ainsi 87%**à estimer que l’on prend plus soin de son corps aujourd’hui qu’il y a cinquante ans, notamment grâce à l’alimentation et l’activité physique. Qu’en déduisez-vous ?

Aurélien Fouillet : Globalement, ces comportements répondent à ce que j’appellerais la « raison sensible » : à la suite du désenchantement du monde, de l’hyper rationalisation de la vie quotidienne, les individus se tournent de plus en plus vers le soin du corps. Face à la perte de signification, on observe une hausse des pratiques pour redonner sens à la vie quotidienne, avec la multiplication des petites mythologies comme bien manger, faire du sport, prendre soin de soi… C’est une forme de « réencyclage », de retour à une forme de naturalité qui consiste à se remettre en phase avec un rythme (celui des saisons, des repas, de son corps …). Et puis il y a une tendance générale à mettre le corps en avant de façon parfois contradictoire. Avec le fitness et le sport d’un côté, qui contribuent à une érotisation par l’image d’un beau corps d’athlète, sculpté, svelte ; à cette image répond d’autre part la part d’ombre de l’érotisation, figurée par la fascination pour les zombies, les vampires, les cannibales. Le corps est omniprésent dans ses différentes représentations et imageries.
Ce qui m’étonne dans les résultats de votre sondage, c’est que l’ouverture à de nouvelles formes de médecine ne soit un outil de bien-être que pour 3% des personnes interrogées et que seulement 4% des répondants estiment que consulter un médecin régulièrement participe à leur bien-être. Cela est lié à mon avis à la crise d’autorité des experts : les gens ne les croient plus forcément. L’internaute va remettre en question la légitimité de l’expert et préférer trouver une information sur Doctissimo : on cherche plus une expérience empathique que la vérité de l’expert.

Tf. : Quel rôle jouent les nouveaux médias dans notre rapport au bien-être ? En quoi modifient-ils les pratiques ?

A.F. : Tout d’abord la révolution ne vient pas d’Internet qui est seulement le réceptacle des transformations de la société et met en avant les choses qui sont moins visibles dans la vie quotidienne. Le monde dans lequel on vit est encore dirigé par les valeurs modernes et Internet est un espace affranchi de ces valeurs : on y tente de nouvelles expériences, de nouveaux types de relation sociale. Lorsqu’un utilisateur consulte Internet pour y trouver des conseils et des informations sur un régime, un sport, une discipline, c’est avant tout lié à l’empathie. Il ne cherche pas la vérité de la pratique mais le bon conseil, à savoir le conseil d’un ami, de celui que l’on se donne entre pairs (en peer to peer). Nous ne sommes plus dans la transmission d’un savoir d’un sachant à un apprenant, mais dans une transmission horizontale.

Tf. : Dans une société en désenchantement, la volonté de maîtriser son corps est-elle aussi liée à un désir de contrôler au moins quelque chose dans son quotidien ?

A.F. : Je ne sais pas si c’est une volonté de maîtriser son corps, je parlerais plutôt d’un désir de comprendre son corps, se mettre en correspondance avec lui, se retrouver. Et puis dans le sport et les activités liées au bien-être en ligne, il y a une vraie démarche de socialisation, à travers une pratique que l’on partage, dont on parle. Même si l’on est seul devant son écran, on appartient à une communauté de gens qui ont les mêmes pratiques et avec qui l’on peut échanger en ligne. Comme le révèle le sondage, la première activité en ligne est la consultation de sites ou de blogs pour y trouver des conseils bien-être. Les internautes attendent avant tout de partager une expérience : on veut trouver quelqu’un qui vit la même chose que nous et nous donne des conseils qui sont justes parce que cette personne est à votre place, pas comme votre médecin ou votre coach.

Tf. : Les femmes sont les plus grandes utilisatrices des outils numériques pour leur bien-être. Quid des hommes ?

A.F. : Les hommes osent peut-être moins avouer qu’ils prennent soin d’eux, ce n’est pas encore la norme, même si l’on voit émerger un marché du soin du corps pour les hommes, des produits cosmétiques ou magazines dédiés. Reste que les hommes ont un rapport au sport différent, qui relève plus de la compétition, de l’affirmation d’une forme de virilité et qui n’est pas de l’ordre de prendre soin de soi. De même, le discours des médias sur ces sujets pour les hommes n’est pas encore lié au bien-être mais plutôt à la séduction. On est encore dans le culte du corps viril et non dans le « care » (ndlr : soin, en anglais).

Tf. : On voit également se développer les applications mobiles et les objets connectés, qui permettent d’avoir au quotidien et sur soi des informations ou des encouragements pour prendre soin de soi. Qu’en pensez-vous ?

A.F. : Le point fort de ces solutions selon moi est la personnalisation. Elles induisent par ailleurs une autre façon de prendre soin de soi. Que ce soit l’application Nike qui fait office de podomètre, l’application qui vous propose des recettes de cuisine en fonction du contenu de votre placard ou celle qui vous indique combien de calories vous avez dépensé dans la journée, ce sont autant d’outils qui réenchantent le quotidien par la technologie. On ne fait pas que courir, on ne fait pas que manger : on a plus d’informations sur ce que l’on fait et donc on donne à notre activité plus de signification, on peut la réinscrire dans un système plus large. Cela va aller en se multipliant avec les objets connectés, nous sommes bombardés d’informations, on peut parler de « réalité augmentée » au quotidien. Quand le podomètre établit pour vous les statistiques de votre activité par semaine,  présente un récapitulatif de vos efforts, propose un programme à suivre : cela inscrit votre pratique de la course dans une logique de signification, dans quelque chose de plus large. Et cette logique fonctionne aussi bien pour un régime ou un cours de yoga en ligne.

*Groupe d'étude des Sociologies Compréhensives et Phénoménologiques.

**D’après un sondage CSA pour Orange et Terrafemina réalisé en ligne du 12 au 13 juin 2012 auprès de 1006 personnes âgées de 18 ans ou plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge et catégorie socioprofessionnelle après stratification géographique par région de résidence et catégorie d’agglomération.

Crédit photo : Pixland

RESULTATS DE L’OBSERVATOIRE ORANGE-TERRAFEMINA

Les résultats complets de l'Observatoire Orange-Terrafemina
L'étude qualitative par l'Institut Treize articles

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