Christophe Aguiton est chercheur en sciences sociales à Orange Labs et militant syndical et associatif. Il a publié de nombreux articles et ouvrages sur les mouvements militants et Internet et enseigne à Paris1-Sorbonne et à l'université Paris-Marne-la-Vallée.
Christophe Aguiton : Ce que nous observons surtout, c’est qu’Internet joue un rôle important lorsque les médias ne sont pas en phase avec l’opinion. Par exemple, en 2005, lors du référendum sur l’adoption de la Constitution européenne. La classe politique et les grands médias étaient tous favorables au « oui », tandis que l’opinion publique était partagée, comme on l’a vu. C’est Internet qui a fait la différence là où les citoyens ne se retrouvaient pas dans le débat : des pétitions électroniques, des sites web collaboratifs et des blogs sont nés autour de la question. Un mécanisme de compensation encore plus net dans les régimes dictatoriaux, où Internet joue le rôle que les médias traditionnels ne jouent pas.
C. A. : La césure générationnelle est évidente, l'usage d’Internet et en particulier des réseaux sociaux s'est imposé avant tout chez les jeunes, pour eux ces outils relèvent de l'évidence. Votre sondage montre également que les CSP + sont convaincus (62%) que les outils numériques facilitent la mobilisation citoyenne, tandis que les ouvriers (57%) estiment en majorité que cela ne change rien. Ces derniers, davantage préoccupés par les questions d’emploi et de salaires, savent que sur ces questions, les foules virtuelles ne peuvent pas faire grand-chose…
C. A. : Internet participe des transformations de l’engagement militant. L’engagement traditionnel, syndical ou politique, reposait sur des structures hiérarchisées et pérennes. Internet s’est construit différemment, avec pour ADN l’expression de l’individu en tant que personne. Dans les mobilisations contemporaines comme le mouvement Occupy Wall Street ou les Indignés, c’est d’abord la personne qui s’exprime et s’engage. On est ensemble mais chacun parle en son nom avec ses propres revendications, et on essaie à partir de là de construire du collectif en travaillant au consensus.
C. A. : Internet permet de faire connaître une cause et de la populariser, mais ce militantisme qui ne s’exprime qu’en ligne est réservé à ceux qui ont un grand pouvoir technique comme le collectif des « Anonymous » par exemple. C’est une affaire de hacker. Néanmoins certains outils collaboratifs peuvent être regardés comme des outils de militantisme online. Le Wiki « Open Street Map », qui met en ligne gratuitement des cartes géographiques élaborées par les internautes, a notamment permis d’organiser le travail des ONG en Haïti après le séisme, la communauté avait établi la carte la plus précise qu’on connaisse de Port-au-Prince. Ce type d’outil est très efficace en situation de crise.
C. A. : Oui bien sûr, l’image de marque des entreprises est très fragile sur le web. Cette affaire est très intéressante car elle met en lumière le type de cas ponctuels pour lequel les internautes réagissent spontanément. On touche là à une question humaine, une femme qui se fait licencier parce qu’elle a ramassé un coupon de réduction. On est dans le registre de la morale où l’entreprise peut apparaître comme inhumaine. Les choses sont plus compliquées lorsqu’au nom de raisons économiques un groupe industriel ou de services supprime des milliers d’emplois. Là, plus que les foules virtuelles, ce qui fera la différence sera la capacité des syndicats à se mobiliser et se faire entendre.
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