Culture
Sécurité routière : « Rien ne justifie le nombre de morts sur les routes »
Publié le 5 mars 2012 à 16:12
Par Marie-Laure Makouke
Comment vit-on après un accident de la route ? Bertrand Parent en fait chaque jour l'amère expérience. A l'âge de 20 ans, il provoque une collision mortelle. Plusieurs années plus tard, il décide de raconter sa terrible histoire dans un livre récemment paru chez Max Milo. Avec « Un jour sur la route, j'ai tué un homme », ce journaliste indépendant espère déclencher une prise de conscience dans l'esprit des automobilistes français.
Sécurité routière : « Rien ne justifie le nombre de morts sur les routes » Sécurité routière : « Rien ne justifie le nombre de morts sur les routes »
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Un samedi soir, à l’âge de 20 ans, Bertrand Parent double une voiture. Il pleut. Un véhicule surgit en face, le jeune homme freine, mais sa voiture dérape. C’est la collision, de plein fouet, fatale. Jugé et condamné pour homicide involontaire, l’auteur vivra pendant vingt-six ans avec un mort sur la conscience, sans jamais parler de cette tragédie qui a bouleversé sa vie. Comment s’extirper du silence et de la culpabilité ? Et qui était au juste la victime ? Qu’est devenue sa petite amie, qui avait survécu à l’accident ? Et comment la famille du défunt a-t-elle fait pour surmonter cette épreuve ?
Bertrand Parent enquête sur son propre passé, interroge des victimes de la violence routière, ainsi que celles et ceux qui luttent contre les excès au volant. Il a décidé d’affronter honnêtement, courageusement sa honte personnelle. Il espère que ce livre rendra ses enfants prudents. Interview…

Terrafemina: Comment votre livre a-t-il été accueilli ?

Bertrand Parent : Alors que les gens sont généralement très agressifs dès que l’on touche à la sécurité routière ou au code de la route, les réactions ont été globalement très positives. J’ai eu des témoignages de conducteurs ayant eu une histoire similaire à la mienne, mais aussi ceux de personnes ayant perdu un proche sur la route, sans n’avoir jamais reçu un seul mot d’excuse du conducteur ayant causé l’accident. Ces dernières ont une réaction similaire à celle de Ghislaine, que je cite dans le livre, et qui regrette que l’homme qui a tué sa fille ne soit jamais venu la voir. « Il m’aurait ne serait-ce qu’envoyé un bouquet de fleurs, je l’aurais sans doute mis à la poubelle. Probablement même ! Mais aujourd'hui j’aurais fini par apprécier le geste », m’a-t-elle d’ailleurs confié. D’une manière générale, les lecteurs prennent conscience que les accidents mortels ne sont pas forcément provoqués par des chauffards ivres morts, que nous sommes tous exposés.

Tf. : Aujourd’hui, comment se traduit votre implication pour lutter contre la violence routière ?

B. P. : On m’a proposé d’intervenir dans des établissements scolaires pour raconter mon histoire, aux lycéens notamment, et les sensibiliser aux dangers de la route. Il y a actuellement un pic de jeunes tués sur les routes de France. Mon accident rendra peut-être mon témoignage plus efficace.
J’ai également prévu de reverser une partie des bénéfices de la vente de ce livre à la Ligue contre la violence routière.

Tf. : Vous écrivez : « Si les hommes conduisaient comme les femmes, on peut estimer que le nombre de morts par an chuterait en dessous de trois mille ». Comment expliquez-vous alors que la croyance populaire « Femme au volant, mort au tournant » soit si répandue aujourd’hui encore ?

BP. : (Il rit) C’est une vieille légende qui relève davantage de la misogynie que de fait réels. La seule chose que je pourrais reprocher aux conductrices, et qui m’exaspère, c’est leur manie de se maquiller dans leur rétroviseur.
Plus sérieusement, les études montrent qu’effectivement, en voiture, les femmes ont plus peur de l’accident que les hommes ; mais cette peur est très saine. Elle prouve que la gent féminine a conscience du danger, du fait que la vie peut s’arrêter en une fraction de seconde en voiture, à la différence des hommes. Par orgueil, ou peut-être en raison d’un trop plein de testostérone, ces derniers oublient trop rapidement cette réalité. J’invite donc les femmes et les jeunes filles, à refuser de monter en voiture avec leur ami quand ce dernier, éméché, affirme être en état de prendre le volant.

Tf. : Qu’attendez-vous de la campagne présidentielle sur le plan de la sécurité routière ?

B. P. : Dans un premier temps, j’apprécierais que les candidats s’expriment sur le sujet car, pour le moment, ce thème est étrangement absent de la campagne. Les présidentiables ont-ils peur de perdre des voix en abordant les sujets qui fâchent à l’approche des élections ? Sûrement. Quoiqu’il en soit, ce silence est effrayant d’autant que, selon plusieurs sondages, l’accident de la route est l’une des principales craintes des Français.
Par ailleurs, j’ai moi-même rencontré plusieurs hommes politiques ayant contribué à la baisse du nombre d’accidentés dans les années 2000 ; j’ai vu à quel point ils étaient sincèrement heureux de sauver des vies grâce à leurs prises de position. J’espère donc que les sujets sur la crise ou les salaires des enseignants laisseront bientôt place à des annonces concernant la sécurité routière.

Tf. : Quel est l’élément déclencheur qui vous a décidé à écrire ce livre ?

B. P. : Plusieurs éléments ont déterminé l’écriture de cet ouvrage. D’abord, fin 2010, début 2011, était adoptée la loi Loppsi 2 prévoyant à la fois des mesures positives comme la confiscation du véhicule en cas d’excès de vitesse avec récidive, mais aussi l’assouplissement des délais de récupération automatique des points du permis. Cette deuxième réforme a immédiatement été suivie d’une hausse du nombre d’accidents de la route. J’ai été à la fois très en colère lors de l’adoption de cette loi, et attristé du résultat qui réduisait à néant un travail acharné mené depuis 2002 et qui avait permis de faire baisser le nombre de tués sur les routes.
La deuxième raison est plus intime : elle concerne mes quatre enfants et notamment mes fils de 18 et 16 ans qui vont bientôt conduire ou apprendre à le faire. Je voulais qu’ils sachent ce qu’il m’était arrivé ; qu’ils aient conscience de la fragilité de la vie humaine et de la responsabilité que l’on endosse, vis-à-vis de soi et des autres usagers, lorsque l’on prend le volant.

Tf. : Que souhaitez-vous que le lecteur retienne ?

B.P. : Je souhaite déclencher une prise de conscience. Les automobilistes doivent comprendre que le code de la route, les radars automatiques, tout cet arsenal existe pour faire respecter la loi et les protéger. C’est tout de même très bizarre, personne ne se plaint lorsque l’on sanctionne un délinquant sexuel ou un voleur, mais, à en croire certains, la route devrait être une zone de non-droit. Beaucoup pensent que l’on devrait se contenter du seuil que nous avons péniblement atteint de moins de 4 000 tués par an : c’est un raisonnement absurde ! Rien ne justifie que des conducteurs ou des piétons perdent la vie sur la route.
J’aimerais par ailleurs que les automobilistes aient des notions d’accidentologie, une discipline qui n’est pas suffisamment enseignée, à mon sens, lors du passage du permis de conduire. Saviez-vous par exemple qu’en diminuant d’un kilomètre/heure la vitesse moyenne sur les routes, on pourrait faire baisser de 4 % le nombre d’accidents ? De même, saviez-vous qu’un accident peut être mortel dès 50 km/heure et, qu’à cette vitesse, le choc correspond à une chute du 4e étage d’un immeuble ?

« Un jour, sur la route, j’ai tué un homme », de Bertrand Parent chez Max Milo Témoignages. 16 euros. 156 pages.

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