Jean-Michel Guenassia : Ce roman n’a rien à voir avec ce que j’ai fait avant en effet. Je suis scénariste, et j’ai écrit un roman policier en vue d’une adaptation en 1986. J’ai passé quinze ans à mûrir « Le Club des incorrigibles optimistes », et consacré six ans à l’écrire en travaillant à mi-temps. Après cela, j’étais lessivé. C’est le roman de ma vie, tout est dedans.
J.-M. G. : C’est en lisant le « Commissariat aux archives » d’Alain Jaubert, une recherche sur les photos trafiquées par les régimes politiques pour falsifier l’histoire. En bon scénariste, j’étais toujours à l’affût de sujets, mais là j’ai voulu écrire l’histoire d’un truqueur de photos. Ca a été le point de départ, et j’ai réussi à greffer tout le reste autour.
J.-M. G. : Pour être honnête, c’est plutôt un choix par défaut. Je voulais raconter l’histoire des membres du Club à un âge où ils pouvaient encore faire des projets, soit entre 40 et 50 ans, quand on a une vie à vivre. Aujourd’hui ces réfugiés du Bloc de l’Est auraient 90 ans. Néanmoins c’est une période extrêmement riche pour un romancier, entre la fin de la guerre d’Algérie, la remise en cause de la colonisation, le Traité de Rome, l’avènement de la grande distribution, le début des 30 Glorieuses, et les premiers germes de mai 68… Je me suis bien retrouvé dans cette époque.
J.-M. G. : Oui, le café où ils se retrouvaient à Montparnasse s’appelait « Le Belfort », et non « Le Balto » comme dans le livre, et il était en effet fréquenté par Jean-Paul Sartre, qui habitait juste à côté. Lorsque j’y allais, autour de 1963, j’avais 14 ans, il m’est arrivé de le voir, attablé avec Simone de Beauvoir et Françoise Sagan. Beaucoup d’Allemands de l’Est et de Hongrois se retrouvaient dans ce bistrot, et j’ai fini par discuter avec eux. Ils avaient fui le bloc de l’Est, avaient abandonné femmes et enfants et vivaient dans des conditions précaires. Personne ne voulait d’eux, ils dérangeaient. Nous sommes passés à côté de ces histoires touchantes. Après la chute du Mur de Berlin, tous ceux que je connaissais sont restés en France, je les croise encore dans le quartier de temps en temps, même s’ils sont très âgés.
J.-M. G. : Ce roman n’est en aucun cas une autobiographie, mais certains détails se rapportent à mon vécu personnel. Je suis arrivé en France avec ma mère en 1955. J’ai passé toutes mes vacances en Algérie, et vu une grande partie de ma famille en souffrance, quand il a fallu fuir avec les valises en laissant tout sur place en 1962. Michel le vit violemment et ces évènements impactent sur sa vie.
J.-M. G. : Les soldats sont revenus cassés, malheureux et malades de cette guerre. Je trouve en effet qu’il y a peu de livres, de films et de témoignages, c’est un sujet encore tabou. Pour moi j’estime que ce devrait être une commémoration aussi importante que la guerre de 1914. Nous savons aujourd’hui à quel point la colonisation a cassé ces pays, mais nous avons du mal à l’admettre. Il s’agit de notre histoire proche, qui impacte encore sur nos relations, difficiles, avec l’Algérie. Aujourd’hui nous ne plaçons toujours pas les pays du Maghreb sur un pied d’égalité avec l’Europe, nous persévérons dans une attitude néo-colonialiste.
J.-M. G. : Oui, à l’époque, j’étais comme ça, je lisais les auteurs par rangées. Dostoïevski, Tolstoï, Balzac, tous les classiques qu’on lit à l’adolescence. Je lisais vraiment très vite. Mais je n’ai pas voulu faire de Michel un double de moi, je voulais surtout qu’il rencontre Camille, lectrice compulsive elle aussi. Je voulais qu’ils se percutent dans la rue, le nez dans leur bouquin. Cette passion pour la lecture rend Michel introverti et solitaire, c’est ce qu’il fallait pour qu’il s’ouvre au « Club » des optimistes.
Crédit photo : Jean-Luc Bertini
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