Aïcha Kessler : Ce n’est pas mon histoire à 100%. D’ailleurs, ce n’est pas un témoignage mais plutôt un récit. Bien sûr, beaucoup d’éléments sont autobiographiques mais j’ai déplacé des événements, effectué des glissements. L’objectif était de prendre du recul par rapport à cette histoire pour éviter d’être reconnue. Je ne souhaitais pas froisser le lectorat maghrébin qui n’est pas très coutumier de la confession qu’implique une autobiographie. L’approche de la fiction n’est pas la même dans le monde arabo-musulman. Par exemple, j’ai situé une partie de l’action au Maroc alors que je suis Tunisienne.
A. K. : Il me semblait que le thème de la mixité au sein du couple n’avait jamais été abordé. Il est régulièrement traité sous l’angle des banlieues ou du métissage culturel mais rarement à travers la vie d’un couple. Par ailleurs, ici l’originalité est que l’étranger n’est pas celui auquel on pense : il s’agit du Français, mon mari ! Et pour cause, au début des années 1980, il était inconcevable pour une maghrébine d’épouser un étranger sous peine d’acquérir le statut de « retournée ». Ce terme était utilisé pour qualifier une personne qui tournait le dos à sa religion. Une telle union était donc considérée comme une déchéance sociale, une trahison et une atteinte à l’honneur du clan ; d’autant plus lorsque la femme, comme c’est mon cas, était issue de la bourgeoisie. D’ailleurs, par respect pour ma mère, mon époux n’a jamais été dans mon village.
A. K. : Je me suis mariée sans qu’aucun membre de ma famille ne soit présent, dans une robe achetée chez Tati. J’ai pris le métro pour me rendre à la mairie. Pourtant, j’ai assisté aux très beaux mariages de mes sœurs. Je pense qu’au moment de dire « oui », j’étais dans une sorte de légèreté. Je me fichais de tout. Après coup, j’ai effectivement réalisé que certains symboles m’avaient manqués. La robe blanche, par exemple.
A. K. : Pour que le mariage soit reconnu en Tunisie, le futur époux doit être musulman. Or, mon mari et moi nous sommes unis civilement en France. Autant dire qu’il n’avait aucune obligation de se convertir. Mais il a toujours ressenti une attirance pour l’ailleurs et le monde musulman ; peut-être en réaction à l’éducation religieuse très stricte qu’il avait reçu enfant. Aujourd’hui, c’est un musulman très appliqué. Il fait le Ramadan et toutes les prières… avec une morale chrétienne cependant. Il a adapté l’Islam à sa vision de la religion. C’est son choix. Je l’observe avec bienveillance et lui apporte mon soutien.
A. K. : Les attentats contre le World Trade Center ont ouvert une brèche dans les relations entre le monde occidental et musulman. Du jour au lendemain, nous, étrangers vivant en France, avons été considérés comme des ennemis culturels alors que nous étions auparavant perçus comme des sources d’exotisme. La France, ce pays que nous avions choisi, qui nous avait accueilli et était devenu la terre de nos enfants, se retournait subitement contre nous.
A. K. : Si la situation de ces couples était délicate au départ, on assiste depuis les années 2000 à une démocratisation des mariages mixtes. Malgré tout, j’ai le sentiment que ces couples ne se forment plus pour les mêmes raisons. A mon époque, il s’agissait le plus souvent d’une volonté d’évasion, consciente ou non. Aujourd’hui, et davantage depuis le début de la crise économique, l’étranger est devenu un élément de bienfait matériel. Les scrupules moraux et religieux disparaissent peu à peu, avec le consentement des parents qui y voient également leur intérêt…
J'ai épousé un Français, d'Aïcha Kessler, Plon.
Propos recueillis par Marie-Laure Makouke
Helena Rubinstein : un grand destin de femme, par M.Fitoussi