Marc Levy : Tout est parti à l’origine d’une rencontre avec un journaliste reporter du New York Times dont la personnalité m’avait fasciné. Il avait traversé un épisode d’alcoolisme profond, et vécu sa rédemption par l’amour et l’intégrité de son métier. C’est cette prise de conscience de la chance qu’il avait d’être reporter au New York Times qui l’a sauvé et qui est devenue sa raison de vivre. Sa profondeur et son humanité m’ont donné envie d’en faire un personnage de roman. Comme un musicien choisit le rythme de la partition qu’il compose, j’avais envie de m’offrir l’écriture d’un livre très rythmé. « L’étrange Voyage de Mr. Daldry » était un roman calme, tout en longueur, là je voulais un roman en eaux troubles, une spirale vertigineuse dans laquelle se débattrait mon personnage.
M. L. : J’étais séduit par l’idée d’un personnage qui n’enquête pas sur « qui » l’a assassiné comme dans un polar classique, mais sur « pourquoi » on l’a assassiné. Au début du roman, Andrew s’installe à une table de café et commence à dresser la liste des gens qui pourraient souhaiter sa mort, il se rend compte qu’il est capable de mettre huit noms sur cette liste, et là il se demande « qu’est-ce que j’ai foiré dans ma vie pour être capable de trouver huit personnes qui voudraient me voir mort ? » C’est un homme qui va, dans un espace de temps très court, visiter les deux derniers mois de sa vie et rechercher ce qu’il a pu faire pour qu’on veuille l’abattre, ce qu’il a raté, et réfléchir à ce qu’il pourrait changer dans le cours de sa vie.
M. L. : Je n’avais pas envie d’un univers noir ou blanc. La problématique d’Andrew dans l’exercice de son métier est importante, il est très à cheval sur la déontologie. C’était un thème dont j’avais envie de parler parce que je trouve que la profession de journaliste devrait d’une part être reconnue d’utilité publique, et d’autre part dépendre d’un ordre, comme il y a un ordre des architectes et un ordre des médecins. Parce que le journaliste dans une démocratie est le porteur de l’information et de la vérité. L’impact des médias dans les révolutions arabes, dans la chute des dictatures est énorme. Qui s’alerterait aujourd’hui de la situation en Hongrie, si ce n’était les journalistes ? La déontologie dans ce métier est aussi importante qu’elle peut l’être chez un médecin.
M. L. : Si j’avais fait des études de lettres et si j’avais eu plus confiance en moi au sortir de l’adolescence, j’aurais adoré être reporter journaliste. D’abord parce que j’ai une passion pour les voyages, j’ai toujours adoré vivre à l’étranger, et parce que même si n’ai pas la prétention d’être un grand écrivain, j’aurai toujours la fierté d’être un écrivain honnête. C’est-à-dire que je commets des erreurs nécessaires, mais je les commets en toute sincérité. Comme les dommages causés par Andrew dans sa carrière, ils sont commis en toute sincérité, sans intention de nuire, et lorsqu’il s’en rend compte, il est bouleversé.
M. L. : L’erreur dans le roman est moins grave que dans un journal, mais respecter la vérité dans mes livres est pour moi une obsession. Mes enquêtes sont à l’image des enquêtes journalistiques : des rencontres, des témoignages, des recoupements de témoignages, des lectures, diverses sources qui, à un moment donné, me permettent de converger vers un point de vérité. Ensuite il y a dans la façon de le formuler des parts d’ombre assumées. J’aime mettre mes personnages en perspective avec l’histoire du pays dans lequel ils vivent, pas seulement avec des problématiques nombrilistes.
M. L. : En réalité cela n’a rien à voir avec le nombre de lecteurs, mais plutôt avec le nombre de livres. C’est très différent. Ce qui compte le plus pour moi dans ce métier c’est de respecter quelques petites règles. Tout d’abord aborder ce métier avec une humilité constante, le jour où je me regarderai écrire au lieu d’écrire j’arrêterai, parce que j’aurai trahi cette liberté que l’écriture m’a donnée. J’ai commencé à écrire parce que je bégayais à l’intérieur. La deuxième règle c’est de garder en mémoire le fait que chaque roman comporte son lot d’erreurs et comme n’importe quel artisan amoureux de son métier, l’appétit du nouvel ouvrage c’est de ne pas répéter les mêmes erreurs et d’apprendre. La pression vient des exigences qu’on s’impose, au treizième roman, il y a des erreurs que je n’ai plus le droit de commettre. Troisième règle : conserver intact le plaisir de ce métier difficile mais tellement jouissif !
M. L. : En m’intéressant beaucoup à l’actualité, en lisant des journaux, et en regardant beaucoup les gens et en écoutant leurs conversations. Ma grand-mère me disait toujours : « chaque personne que l’on croise c’est une bibliothèque », et c’est vrai. Je caricature à peine en vous disant cela, dans un café, quand je pose les yeux sur les gens qui sont autour de moi, c’est une lecture merveilleuse.
M. L. : En fait je ne lis pas les mecs ! (rires) Je ne lis pas Guillaume Musso, ni Maxime Chattam, non pas que je ne les aime pas mais peut-être parce que je suis plus attiré par la sensibilité féminine. Je lis Anna Gavalda avec beaucoup de plaisir, j’ai lu beaucoup de livres de Katherine Pancol. Chez les hommes, j’ai mes favoris comme Antoine Audouard, Romain Gary, Alexandre Jardin, Eric-Emmanuel Schmidt, les découvertes glanées dans les librairies, et surtout beaucoup de littérature anglo-saxonne.
M. L. : Il vient de sortir, c’est trop tôt pour en parler et ce n’est pas forcément de mon ressort. Je ne cours pas après cela ; c’est très agréable de voir ses personnages prendre vie, mais on me demande souvent si je pense un scénario lorsque j’écris, et je ne le ferai jamais, ce serait une aliénation de la liberté d’écrire extraordinaire. La grande liberté du romancier c’est qu’il n’y a ni contraintes de budget, de temps, ou de faisabilité. Si on veut faire s’écrouler une montagne on le fait, enfin on l’écrit.
Marc Levy, « Si c’était refaire » (Versilio)
Crédit photo : KBelouaar
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