Diane Ducret : J’ai remarqué qu’il y a toujours eu un tabou dans l’Histoire à considérer les dictateurs comme des hommes et non uniquement comme des monstres. Je me suis demandée si ce n’était pas des êtres faits de chair, de désirs et de faiblesses, c'est-à-dire des femmes. Je me suis rendue compte qu’ils étaient non seulement des hommes mais surtout de grands séducteurs.
D.D : D’après toutes ces femmes, ce sont leurs yeux d’abord, puis leur voix qui les rendent totalement irrésistibles. Il faut savoir que les dictateurs travaillent leur séduction. Depuis le début, ils savent qu’ils n’arriveront pas au pouvoir suprême s’ils laissent de côté la moitié de la population, à savoir les femmes. Par exemple, Hitler travaille ses poses avec son photographe Heinrich Hoffmann, ses attitudes, ses tenues vestimentaires, et la manière de faire son baise main auprès de femmes de la haute société. Il en est de même pour Mussolini. Ces dictateurs sont faits par des femmes et c’est pour ça qu’ils vont autant plaire aux femmes.
D.D : Il y a en effet différent types de femmes auprès de ces hommes. On remarque que dans leur jeunesse, ils rencontrent souvent des bourgeoises très éduquées, des filles de bonne famille qui vont leur mettre le pied à l’étrier et jouer le rôle de mère de substitution. Elles les aiguillent et les façonnent. Leurs épouses sont généralement des femmes fortes, des compagnes d’une vie qui vont vraiment les aider et les supporter pendant des années. Par contre, s’ils leur reconnaissent l’importance d’une odalisque, politiquement, pour eux, elles n’existent pas. Elles ne comptent que très peu puisqu’ils les trompent avec d’autres femmes.
D.D : Il y a en effet quatre genres de femmes : ces premières femmes très éduquées qu’ils rencontrent dans leur jeunesse ; ces femmes épousées qui sont un peu les « ménagères désespérées » et qui ont véritablement sacrifié leur vie au dictateur et sa politique. Et enfin bien souvent ils rencontrent des jeunes danseuses du style d’Eva Braun, Clara Petacci, des femmes très belles qui aspiraient à une carrière d’actrice, qui ont très peu de rôle en politique mais qui par contre sont essentielles à leur équilibre. C’est comme s’ils avaient besoin de racheter leurs fautes et leurs erreurs dans le regard de jeunes femmes évaporées qui ont un côté très Maryline. Depuis Elena Ceausescu, Jiang Qing et Isabelle Peron, la donne a changé. Les femmes ont davantage le profil de « chienne de pouvoir » pour reprendre l’expression de la quatrième femme de Mao Zedong, Jiang Qing. Elena s’est très rapidement rendue compte que c’était un couple de pouvoir qu’il fallait pour régner et ne pas se contenter d’être la femme du Chef. Elle prend d’ailleurs l’exemple d’Isabelle Peron. Jiang Qing, elle, va devenir le numéro 2 du régime voire même le numéro 1 bis. Leila Trabelsi et Simone Gbagbo ont également ce même profil.
D.D : Exactement ! La femme a tristement pris son émancipation sur le dictateur. Malheureusement c’est en devenant parfois aussi cruelle que lui.
D.D : Au quotidien, ce sont des persécuteurs. Certains le sont physiquement. Mussolini par exemple va jusqu’à prendre 14 femmes par jour, ce dont il n’hésite pas à se vanter. Hitler, quant à lui, a besoin de les posséder psychologiquement. Mais les tentatives de suicide révèlent que ce ne sont pas que des proies consentantes et que l’opposition est inconciliable avec les deux entrées de leur personnalité. On a toujours vu Eva Braun comme sa « bécasse » (ndrl : Hitler la surnommait ainsi) ce que l’on sait moins c’est qu’elle ne se gênait pas pour le remettre à sa place…
D.D : J’ai voulu leur laisser la parole. C’est ce qu’il fallait faire dans un premier temps. L’introduction va d’ailleurs dans ce sens puisqu’elle recueille des lettres d’amour irrationnelles reçues par les dictateurs. C’était trop tôt pour se risquer à une conclusion car on a pu constater que la figure évolue. Je prépare un deuxième volume, plus contemporain. Il commencera à partir de la guerre froide. Après avoir étudié tous les portraits, je tenterai alors une conclusion.
D.D : Complètement ! J’ai remarqué, du moins à cette époque, que la vie avec le dictateur les conduit systématiquement à la mort telles des héroïnes du XIXème siècle ; il n’y a qu’une issue possible et elle est tragique. Il y en a qui se suicident de ne pouvoir vivre avec, comme Nadia, la femme de Staline, d’autres se suicident à l’idée de vivre sans, comme Magda Goebbels. Visiblement, il n’y a pas d’autre vie possible quand on a vécu quelque chose d’une telle intensité. Ce sont leurs propres mots.
"J'ai vécu Mille ans" de Mariolina Venezia
Elles vivaient d’espoir, de Claudie Hunzinger
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