Rendez-vous était pris à l’hôtel du Nord, au bord du Canal Saint-Martin. Un café-restaurant imbibé de littérature s’il en est, puisque c’est ici que se déroule l’histoire du roman L'Hôtel du Nord d'Eugène Dabit adapté en 1938 au cinéma par Marcel Carné.
Une scène mythique d’Hôtel du Nord avec Arletty, curieusement raccord avec le roman de Douglas Kennedy…
Le Xe, c’est aussi « le quartier » de Douglas Kennedy, qui possède un appartement « à cinq minutes de marche ». L’auteur arrive avec un peu de retard et se confond en excuses (des problèmes avec sa fille de 18 ans). De fil en aiguille, il raconte sa première arrivée en France : « J’avais 19 ans, c’était en 1974. J’étais étudiant au Trinity College Dublin. Je suis arrivé par le train de nuit, j’ai pris le métro. À l’époque, il y avait une première classe et une deuxième classe. Je suis allé en première avec un billet de deuxième. J’ai eu une amende, 50 francs je crois. À l’époque c’était une fortune pour moi. Les choses sont allées mieux après ça (rires) ». De fait, il est désormais le plus français des auteurs américains (comme Marc Levy est le plus américain des auteurs français) et donne ses interviews en français. « Il y tient beaucoup ».
On est là pour parler de Cinq jours, le roman de Douglas Kennedy paru en 2013, qui sort en poche (Éditions Pocket) ce jeudi 2 octobre.
L’histoire : Laura est technicienne en imagerie médicale. Toute la journée, elle traque au scanner les tumeurs des autres. Elle est mariée à Dan et son couple ne va pas fort. Dan est au chômage depuis plus d’un an, se sent minable, a de violents accès d’humeur. Bref, le couple vivote dans une ambiance déprimante à Damariscotta, une petite ville du Maine. « Un village, plutôt », précise Douglas Kennedy. « C’est pas loin de chez moi, de Wiscasset… Il y a là beaucoup de gens de la classe moyenne. » Cette vie « étriquée » va basculer le jour où Laura est amenée à se rendre à un séminaire à Boston. Elle y rencontrera l’amour fou en la personne d’un vendeur d’assurances falot prénommé Richard, encore plus malheureux qu’elle en ménage. La passion le temps d’un week-end… L’histoire finira mal. « Ça n’est pas un livre avec une happy end », explique Douglas Kennedy, mais Laura a découvert quelque chose ».
Pour Douglas Kennedy, son livre est « un miroir » qu’il tend au lecteur, parce que « tout le monde a raté le bonheur au moins une fois dans sa vie ». Comme dans beaucoup de ses romans, les personnages sont arrivés à une cassure de leur existence, ils doivent choisir. Dans ce cas précis, entre un mariage moribond et l’inconnu. Pour Douglas Kennedy, c’est très clair, si l’on n’est pas heureux, il faut changer. Et l’auteur connaît son sujet : il a divorcé après 25 ans de mariage. « C’était très difficile, mais après, je me suis demandé pourquoi j’étais resté aussi longtemps ». « J’ai beaucoup de copains et de copines divorcés et c’est toujours la même question », ajoute-t-il. Et l’auteur de conclure : « Dans la vie tout est un choix. Les gens qui sont malheureux, c’est un choix, c’est comme les gens qui sont en colère tout le temps. »
« Ma femme dit que je mange les livres, j’en lis trois par semaine », explique ensuite Douglas Kennedy en sortant un pavé de sa sacoche en cuir. Sa lecture du jour. « C’est un écrivain allemand qui s’appelle Peter Schneider, le titre c’est Berlin maintenant. Schneider a écrit un livre il y a trente ans sur le mur. Quand j’ai lu ça, j’ai décidé de voyager à Berlin ». Quant à sa lecture de la veille, c'est « un livre de Paula Fox qui s’appelle Desperate Characters ». L’histoire d’un couple piégé dans un mariage sans amour. L’homme a ses petites obsessions.
Douglas Kennedy avoue tout de même que le livre qu’il consulte le plus, c’est The Synonym Finder, un dico des synonymes de 1 000 pages qui est toujours à côté de lui quand il écrit. « J’en ai un à Paris, un aux États-Unis… » Un livre fétiche qui est aussi celui de ses personnages : « Laura, dans le livre, a The Synonym Finder. À un moment, elle compte le nombre de synonymes pour les mots bonheur et malheur. Il y a énormément de synonymes pour malheur et beaucoup moins pour le mot bonheur... C’est la vie. »
Il est temps d'y aller. Avant de partir, Douglas Kennedy évoque son prochain roman qui sortira début mai. « Il s’appelle Mirage et l’action se situe au Maroc dans le sud extrême du Sahara ». Et, prévient l'auteur, il sera très différent de ses autres livres. « C’est un truc chez moi. Il y a des écrivains, c’est presque tous les ans le même roman. Moi je change ».