Virginie Deloffre : Elle est née de mon amour pour la Russie, du lien imaginaire quasi amoureux que j’entretiens avec elle. Mais aussi d’images que j’avais dans la tête et qui me faisaient rêver : une minuscule photo d’un lever de terre sur la lune, que j’avais trouvée je ne sais où, qui m’a suivie partout et se retrouvait toujours collée au mur devant ma table de travail d’un déménagement à l’autre ; et puis les paysages polaires, la lumière de la glace quand le soleil la traverse, la brume qui tombe sur la mer gelée…
V. D. : C’est une fascination qui date de la petite enfance. Ma mère était passionnée de littérature russe et je crois qu’on m’en a lu beaucoup, très tôt, cela s’est imprimé en moi avec la force que prennent les souvenirs à cet âge. La Russie ne m’a plus quittée, elle est restée liée pour moi aux tout premiers enchantements… A l’âge adulte j’ai continué à la parcourir en lectures, je me suis plongée dans son histoire, sa géographie, sa littérature. J’avais accumulé beaucoup de connaissances sur elle et elle occupait un bon pan de ma bibliothèque. Le livre est né naturellement de cet univers familier. Mais il me manquait encore sa langue, alors quand j’ai commencé à écrire Léna je me suis inscrite aux cours du soir de l’Inalco – Institut national des langues et civilisations orientales, ndlr- pour apprendre le russe. Je travaillais le jour, je passais mes soirées sur les bancs de l’Inalco et j’écrivais la nuit… Ce furent de sacrées années dont je garde un souvenir aussi épuisé qu’ébloui.
V. D. : Je n’ai pas pu aller en Sibérie, voyager en Russie intérieure reste difficile même actuellement. Mais je connaissais assez bien le grand Nord, j’étais allée plusieurs fois au Spitzberg, au Groenland, dans l’Arctique canadien. Je pouvais décrire la banquise et ses infinis paysages, qui sont les mêmes partout sur le pourtour du pôle. Je les avais vus et j’avais été prise, comme d’autres sont envoûtés par le désert… Comme cela se produit dans le livre pour le vieux Dimitri, dissident expédié dans un coin perdu de Sibérie polaire qui n’est jamais reparti, même après sa réhabilitation.
V. D. : Ce n’est pas impossible. J’ai une idée qui me trotte dans la tête, un peu bizarre, un peu féérique, inspirée aussi par un épisode de l’histoire de la Russie. Certainement difficile à écrire également. Pour l’instant il faut la laisser mûrir. Essayer de lui faire confiance, sans être harcelée constamment par le doute. C’est très difficile d’écrire…
V. D. : Question cruciale… Ma profession est une identité forte pour moi. Je suis médecin, au service de la souffrance humaine, ce qui n’admet aucun compromis. Je travaille à l’hôpital c’est-à-dire dans le service public et c’est une identité tout aussi forte, un très grand honneur auquel je me dois d’être à la hauteur : je suis au service du public. Et dans la banlieue pauvre où se situe mon hôpital, d’une population en détresse à laquelle je ne peux faire défaut.
Parallèlement, j’ai envie d’être reconnue comme écrivain et j’ai besoin également de cette identité. Elle m’est aussi importante que la précédente. Or il faut que je puisse dormir la nuit… J’ai fini par sauter le pas et demander un mi-temps à l’hôpital, qui m’a été accordé. Je vais peut-être réussir enfin à réunir les deux morceaux de ce que je suis…
« Léna », de Virginie Deloffre, Albin Michel, 19 euros.
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