Soazig Dollet : La première réaction de Reporters sans frontières a été de demander aux autorités syriennes d’ouvrir une enquête sur ce drame qui a causé la mort de 8 personnes. Ces journalistes étaient présents de manière légale avec des visas officiels afin de suivre une manifestation organisée par le régime, d’où l’importance de faire toute la lumière sur les circonstances de l’incident. Toutes nos pensées vont à sa compagne, Caroline, qui était présente sur place en tant que photographe, à leurs deux jumelles d’un an et demi, et à toute l’équipe d’Envoyé Spécial.
S. D. : C’est tout le paradoxe tragique de la mort de Gilles Jacquier. Pour couvrir le conflit, la plupart des journalistes occidentaux sont entrés illégalement en Syrie, par le Liban ou la Turquie. Certains ont bénéficié de visas d’affaire. L’équipe de Gilles Jacquier avait choisi de jouer le jeu des autorités syriennes, dont le discours récurrent consiste à accuser les médias internationaux de partialité et de complicité avec les opposants. En laissant entrer des journalistes et en les accompagnant à Homs, le régime voulait faire la preuve de son ouverture, même s’il s’agit d’une « mascarade » dont les journalistes n'étaient pas dupes. D’après les témoins sur place, le groupe était très encadré lors de cette visite, mais il est évident que la protection a fait défaut, deux journalistes ont été blessés, et Gilles Jacquier a été tué.
S. D. : Je pense que les journalistes présents étaient conscients d’un certain niveau de danger. Depuis le début des mouvements de contestation en mars 2011, la ville de Homs est particulièrement meurtrière. Fin 2011, deux journalistes citoyens syriens ont perdu la vie : un photographe arrêté le 19 novembre a été retrouvé mort le lendemain, avec les yeux arrachés ; un autre vidéaste a été tué par un sniper le 29 décembre alors qu’il tournait une vidéo. Un reportage réalisé en novembre par Manon Loiseau pour Envoyé Spécial (« Syrie interdite »), montrait à quel point cette ville était dangereuse.
S. D. : Le blocage de la presse étrangère ne s’est pas fait tout de suite en Syrie. Les journalistes présents à Damas ont pu travailler presque normalement jusqu’au mois de mai voire juin 2011. Ensuite quand le régime a senti que la contestation ne faiblissait pas, il est devenu beaucoup plus difficile d’obtenir un visa, les visas touristiques étaient de plus en plus soupçonnés. Mais malgré tout, les autorités de Damas se sont aperçu qu'elles ne pouvaient pas fermer tout à fait l’accès aux journalistes. Quelques uns sont donc passés. Ils étaient très certainement suivis et surveillés, mais en danger je ne crois pas. Le régime sait à quel point l’opinion internationale est sensible à la mort d’un journaliste étranger…
S. D. : Je crois malheureusement que la guerre de l’information et de la désinformation est telle actuellement en Syrie qu’on ne saura jamais qui est vraiment responsable. Les deux parties se livrent un combat féroce. La question se pose forcément sur une opération de manipulation de la part des autorités. L’opposition a déjà accusé le régime d’avoir fomenté des attentats à Damas pour discréditer le mouvement de contestation. Pour le moment ce sont les autorités, avec le concours des observateurs de la Ligue Arabe, qui sont chargés d’enquêter. Même si leur crédibilité est fortement mise en doute, ils sont sur place, et je doute que Damas autorise une autre autorité internationale à venir enquêter sur cette affaire.
Reporters sans Frontières
Crédit photo : AFP
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