Les journalistes, ennemis de la répression
S’il apparaît souvent comme un métier de rêve, l’exercice du journalisme peut s’avérer risqué. Les enlèvements, ces dernières années, de nombreux journalistes, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, pour ne citer qu’eux, témoignent de ce danger. Parce qu’ils enquêtent sur des sujets sensibles et contestent des politiques douteuses, ces professionnels sont souvent pris pour cible par ceux qu’ils dénoncent, directement ou non. « Les régimes en place dans les régions hostiles étouffent le moindre mouvement de contestation naissant et restent très attentifs à ce qu’aucune information gênante ne filtre car elle risquerait de les fragiliser, analyse Gilles Lordet, responsable de recherche à Reporters sans frontières (RSF). Le contrôle de l’information est un enjeu capital pour ces régimes et les journalistes y font figure d’empêcheurs de tourner en rond. »
Un contexte qui oblige les reporters à exercer leur profession au péril de leur vie ou de leur intégrité physique. Ainsi, à la mi-janvier, Gilles Jacquier, grand reporter à France 2, est tué par un tir d’obus en Syrie. Deux mois plus tôt, Caroline Sinz, journaliste de France 3, déclare avoir été agressée sexuellement alors qu’elle couvrait la révolution en Égypte. « Nous avons été assaillis par des jeunes de quatorze ou quinze ans », racontera-t-elle à l’AFP. « J’ai été tabassée par une meute de jeunes et d’adultes qui ont arraché mes vêtements. » La jeune femme aurait alors subi des attouchements répondant « à la définition du viol ». Et de conclure : « J’ai cru que j’allais mourir ».
Mais cette agression n’était pas la première de ce type en Égypte. Le 24 novembre, Mona al-Tahawy, éditorialiste américano-égyptienne, révélait sur son compte Twitter avoir été agressée sexuellement par des policiers anti-émeute, tandis que Lara Logan, correspondante à l’étranger de la chaîne CBS, avait déclaré avoir été victime d’une agression, au Caire, le jour même de la chute du président Hosni Moubarak.
Dans la foulée de ces événements, Reporters sans frontières met immédiatement en garde les journalistes et en particulier les femmes. « Il est plus dangereux pour une femme que pour un homme de couvrir les événements de la place Tahrir. C'est une réalité à laquelle les rédactions doivent faire face, constate l’organisation non-gouvernementale dans un communiqué. C’est au moins la troisième fois qu’une femme reporter est agressée sexuellement depuis le début de la révolution égyptienne. Les rédactions doivent en tenir compte et cesser momentanément d’envoyer des femmes journalistes en reportage en Égypte. » Mais loin de provoquer l’effet escompté, cette prise de position provoque une levée de bouclier telle que l’ONG est rapidement revenue sur ses propos. « Il a été dit que nous recommandions aux femmes journalistes de ne plus couvrir l'Égypte, voire le monde arabe. On nous a accusés de faire le jeu des agresseurs. Ce n'était pas du tout notre intention », assure alors Jean-François Julliard, secrétaire général de l'association de défense des journalistes, maintenant toutefois que « si, pour un homme, la situation n'est pas de tout repos, elle est encore plus dangereuse pour une femme. »
Pour Gilles Lordet, au contraire, « la situation n’est pas plus dangereuse, dans les régions sensibles, pour les femmes que pour les hommes ». Aujourd’hui, il estime d’ailleurs que RSF n’avait pas à faire ce genre de recommandation. « Nous ne sommes pas habilités à dire aux rédactions quels journalistes elles doivent envoyer à tel ou tel endroit, d’autant qu’il s’agissait là d’événements exceptionnels. Nous avons réagi trop précipitamment et avons mal formulé nos pensées ». Si elle comprend que cette injonction partait d’un bon sentiment, Manon Quérouil, grand reporter, la désapprouve également. « Nous faisons le même métier que les copains. Hommes ou femmes, reporters, photographes ou cameraman, nous avons choisi ce boulot en en connaissant les risques, rappelle-t-elle. Par ailleurs, interdire aux femmes de se rendre dans certaines régions ne règlera pas le problème de la dangerosité de la profession. »
D’autant que, si l’on en croit la jeune femme, il serait bien dommage, pour la presse, de se passer d’une telle présence sur le terrain. « Dans les pays musulmans, être une femme journaliste est un avantage car nous avons à la fois accès aux hommes et aux femmes ; nous pouvons ainsi recueillir des informations que nos confrères n’auraient pas eues. En Afrique, par ailleurs, les locaux, très paternalistes, sont généralement plus bienveillants avec les femmes et ont même tendance à nous protéger », poursuit celle qui a couvert les conflits au Liban, en Libye, en Irak, en Somalie ou encore Afghanistan. Un point de vue que partage le responsable de recherche de RSF. « Dans les pays musulmans notamment, nos consœurs parviennent plus facilement à recueillir des témoignages de femmes sous le sceau de la confidence. De même, dans des pays où la femme souffre d’un manque de considération, elles passent souvent inaperçues et parviennent à glaner des informations précieuses. » Gilles Lordet, l’affirme « la presse a grand besoin de femmes dans ces régions », ce qui ne l’empêche pas d’être conscient des risques.
Des risques qu’une bonne préparation en amont permet parfois de limiter. « Avant de partir en reportage, il est important de se préparer psychologiquement à toute éventualité, indique Manon Quérouil. Quelque soit notre sexe, il faut savoir où l’on va mettre les pieds et, surtout, avoir de bons contacts sur place, un bon fixeur (intermédiaire entre le journaliste et la population, ndlr.). La chance fait souvent le reste : elle nous permet de ne pas être au mauvais endroit au mauvais moment et vice-versa. » Sur le terrain, pour forcer « sa chance », la spécialiste des grands reportages prend toutefois quelques précautions supplémentaires. « Je change régulièrement d’itinéraire pour mes déplacements et je ne reste jamais très longtemps au même endroit. » Avec l’expérience, elle affirme avoir appris à « sentir les situations à risques » avant d’avouer avoir rédigé un testament lors de son premier reportage.
Outre l’expérience du terrain, des formations existent pour aider ces journalistes à se préparer au mieux. « Bien sûr, le risque zéro n’existe pas et personne n’est jamais préparé à être pris en otage, mais ces formations de trois mois environ permettent de savoir à quoi s’attendre, d’apprendre à reconnaître un mouvement de foule, une guerre incontrôlable, etc. Les reporters sont souvent envoyés dans des régions qu’ils ne connaissent pas, ils sont donc initiés au préalable au repérage des lieux, à la prise de contacts sur place, aux bases de l’organisation. Enfin, ces modules tentent de les prémunir contre un éventuel syndrome post-traumatique. » Penser que le reportage en zone de guerre serait plus dangereux pour les femmes serait donc une idée reçue ? « Oui, répond Gilles Lordet. Dans ce métier, les principales différences entre les sexes résident davantage dans l’accession à la profession et aux postes à responsabilités, que dans les risques sur le terrain. » Mais il s’agit là d’un autre débat…
Crédit photo : rsf.org
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