« Il y a eu des coups de feu chez Charlie Hebdo ! » A la rédaction, cela débuta par cette phrase prononcée par l’un de nos journalistes collé à Twitter. Puis des bruissements, des clics, des rumeurs, et « Charb est mort ». Charb ? « Et Wolinski ». Merde. Et puis Cabu. CABU ? Mais non, pas Cabu.
Car ne nous le cachons pas. Nous ne connaissions pas tous Tignous, Charb ou même "Charlie" mieux que cela, il y a quelques jours. Mais Cabu, enfin. CABU ! Le choc s'est incarné comme cela, donc, avec l’image du ce funambule dégingandé qui nous accompagna toute notre enfance immédiatement associée à celle de terroristes armés, masqués, tirant rageusement dans sa direction…
Cabu, pour les enfants de Récré A2, c’était le type un peu bizarre à la coupe de Mireille Matthieu et aux binocles de John Lennon, bref un type complètement largué niveau look, qui gloussait comme un gosse en griffonnant sur de grandes feuilles de papier. Dix ans durant, il accompagna la bande de Dorothée, laquelle priva nos jeunes années de longues heures de lecture ou de devoirs en nous gavant de facéties puériles et de dessins animés plus ou moins japonais. Et il y avait ce type, donc, qui ne se lassait jamais de dessiner le nez de Dorothée (restera cette année, dans sa valise au milieu des chaussettes rouges et jaunes à petits pois et blablabla) en agitant gracieusement son improbable chevelure alors que ses chemises bariolées à géométrie variable nous faisaient galérer avec les boutons de réglage de la couleur de nos vieux postes hertziens.
Il ne disait pas grand-chose, mais ça n’avait pas d’importance. Il était là. C’était sympa. Nous, on a tous essayé de dessiner Dorothée parce que ça avait l’air si facile sous son gros feutre noir. Mais c’était nul, bien sûr. On parle d’un type qui arrivait à dessiner à l’aveugle sur un calepin planqué dans sa poche de pantalon, alors pensez.
Puis la bande a migré sur TF1, Cabu est resté avec Marotte et Charlie, nous aussi, avant de partir vers d’autres cieux, qui vers ses ambitions professionnelles, qui vers de nouvelles expériences bien plus excitantes imposées par une puberté qui s’imposait.
Aujourd’hui, lorsqu’on replonge dans le CV de l’ami Cabu, on apprend que le trublion rigolard en avait pas mal sous le stylo. Presque soixante ans de carrière, des bouquins cultes comme Mon Beauf (et même qu’il aurait créé le mot), Le Grand Duduche, son rond de serviette dans les plus grandes rédactions de Paname et une tripotée de super bons copains proportionnelle à la manifeste gentillesse extrême du boss pourtant d’une humilité déconcertante. On apprend qu’il était le père de Mano Solo, lui aussi prématurément décédé, fan délirant de Charles Trénet mais aussi de jazz, dont il hantait les clubs de sa présence lunaire.
On découvre que ce type n’avait pas changé, finalement, depuis qu’il gloussait à nos côtés comme l’enfant qu’il était visiblement resté, ainsi qu’en témoigne cette anecdote de Cavanna racontant un matin où la maman de Cabu avait appelé le bureau pour dire qu’il ne viendrait pas parce qu’il était souffrant.
Aujourd’hui, le monsieur de Récré A2 aurait eu 77 ans. Et c'est un peu de notre enfance qu'on a volé ce 7 janvier 2015.