A 27 ans, Anaïs est community manager/styliste/attachée de presse/pigiste/mannequin. C’est une slasheuse, du nom de la marque de ponctuation, le slash, cette barre oblique signifiant l’accumulation. Et comme elle, de plus en plus d’actifs sont multitâches, par choix, par besoin ou les deux. Entrée sur le marché du travail en 2009, Anaïs a toujours eu plusieurs jobs : « Sauf peut-être quand j’étais étudiante et que je bossais comme vendeuse aux Galeries Lafayette ! Ensuite, j’ai trouvé un premier boulot mais à temps partiel, puis un autre. Je prenais tout ce qui arrivait. Je voulais laisser toutes les portes ouvertes et ne pas avoir à choisir entre l’écriture et le stylisme, surtout. » Et si Anaïs est devenue ultra-active par contrainte au départ, elle se demande à présent si elle pourrait encore « tout lâcher » : « aujourd’hui, je peux faire ce qui me plaît, je suis polyvalente ! ».
Car la multiactivité n’est pas toujours le résultat d’une difficulté économique. En réalité, selon le sociologue Serge Guérin, il existerait deux catégories de slasheurs : « La première, très diplômée, multiplie les jobs pour assouvir une passion. L’autre, pour cumuler des revenus et tisser du lien social. » Et pour ce spécialiste du travail des seniors, cette situation n’est pas propre à une tranche d’âge : « Cumuler les tâches, ça existe depuis un siècle ! Ce qui est nouveau, c’est que ce phénomène touche une nouvelle catégorie de personnes plus diplômées. Une catégorie qui jusque-là avait un parcours très normé. » Pour le sociologue, il existerait en fait un effet de génération : « Face à la crise, même les plus diplômés deviennent précaires et multiplient les statuts. Ils sont donc à la fois dans une quête de sens et de revenus. » Une situation que connaît très bien Anaïs : « Je viens tout juste d’accepter un CDI de community manager, parce que c’était à mi-temps, pour pouvoir continuer mes activités par ailleurs et parce qu'après un an en freelance avec des revenus irréguliers, j'ai eu envie d'avoir une paie ! »
Maïssa, 28 ans, a, elle, suivi le parcours inverse. Si elle a commencé sa vie professionnelle par un CDI à la sortie de l’école, elle s’en est vite éloignée. « Au début, c’était une petite entreprise où il fallait tout faire, et puis quand la maison s’est agrandie, je n’occupais plus que le poste d’attachée de presse. C’était moins intéressant. » Elle a alors tout quitté pour partir en Inde, d’où elle a ramené quelques vêtements. Elle a d’abord vendu ses sélections, avant de devenir elle-même créatrice. Passionnée de musique, elle se produit aussi comme DJette, et démarrera à la rentrée un « job alimentaire » pour financer tous ses projets. « Finalement ce n’est pas si différent, tout est lié !, assure-t-elle. Je rencontre souvent les mêmes personnes et, au contraire, mes activités se complètent ! »
Mais du côté des entreprises, on en pense quoi ? Slasheur rime-t-il avec employeur ? « Aujourd’hui, le côté multitâches peut être valorisé dans une entreprise, ce qui n’était pas du tout le cas avant où elle aurait plutôt été considérée comme une pratique dilettante », explique Serge Guérin. « Il y a une évolution culturelle : la multiplication des identités professionnelles. C’est un phénomène très nouveau rendu possible par la technologie et contraint aussi par une réalité : la crise. » Ainsi, en multipliant les activités, les slasheurs créeraient leur propres sécurité sociale et seraient moins vulnérables face au chômage. Et en plus ils seraient plus heureux, assure le sociologue : « Ils ne peuvent pas connaître le burn out parce qu’ils fonctionnent à l’envie ! » Alors, demain, tous slasheurs ? « Les deux modèles continueront à cohabiter, tout le monde ne s’épanouit pas en cumulant les emplois ! Mais, on peut être slasheur un temps, une période, et puis on peut aussi devenir poly actifs dans sa vie privée… »
Crédit photo : Hemera
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