Il est 19 h 30. Et comme chaque premier jeudi du mois, un petit groupe s’est réuni pour parler création d’entreprise. Autour d’un verre dans un bistrot parisien ou dans les locaux d’un de leurs partenaires, ces anciens patrons échangent sur leurs expériences. Ils ont 20, 30, 40 ou 50 ans, ont été entrepreneurs pendant quelques mois ou plusieurs années, mais ont tous un point commun : ils ont « planté » leur boîte. Un tabou pourtant riche de savoirs que Dimitri Pivot, le fondateur de l’association « Second souffle », tente de lever en organisant ces soirées « afterfail » (après l’échec, ndlr). « Ici ce n’est pas le bal des gueules cassées, précise-t-il. On est là pour mettre à profit une expérience, on a un capital à exploiter. On apprend plus de l’échec que de la réussite, parce que dans le deuxième cas, on ne sait jamais vraiment pourquoi. »
Aujourd’hui installés dans la salle de réunion d’un audioprothésiste parisien, les créateurs d’entreprise retracent leurs succès, leur échec et l’après. Car si certains se sentent l’âme de recréer, pour la majorité présente ce soir-là, l’objectif est (ou était) de trouver un emploi. Et dans ce domaine, leur sentiment unanime est plutôt amer : « On a l’impression d’être un OVNI, à qui il est difficile d’attribuer un métier, des compétences », raconte l’un. « Les a priori sur les entrepreneurs sont ancrés, insiste l’autre : pas malléables, et qui ne connaissent pas la vie de bureau. » « Aujourd’hui j’indique sur mon CV que j’ai été salarié dans les entreprises que j’ai créées ! » explique un troisième. « Aux Etats-Unis pourtant, conclut un dernier, on ne t’embauche pas si tu n’as pas planté une boîte ».
Et en effet, pour le sociologue Serge Guérin, la culture de l’échec est très différente des deux côtés de l’Atlantique : « En France, nous valorisons le résultat. Nous avons tendance à penser que celui qui a raté, ratera une seconde fois. Les recruteurs choisissent donc plutôt des profils et des parcours classiques. Aux États-Unis, en revanche, on valorise la tentative, la volonté d’avoir fait quelque chose par soi-même. La réussite y est presque secondaire. » Mais ces modèles seraient pourtant en train de changer, note le sociologue : « Nous sommes dans une période de crise, de rupture. Et face aux difficultés, nous recherchons de nouveaux profils : dans des écoles moins reconnues ou dans d’autres filières. Certains se sont même déjà adaptés à ce modèle, comme les slasheurs par exemple, qui développent plusieurs compétences à la fois. »
Dimitri Pivot le reconnaît d’ailleurs : « Il y a encore quelques temps, je pensais que les mentalités n’étaient pas prêtes à accepter l’échec. Aujourd’hui, si. » Et c’est bien ce à quoi vont s’atteler désormais ces entrepreneurs, à l’image de Stéphane Dardoize. A 45 ans, ce fidèle des afterfails a créé trois entreprises et en a repris une, avant de devoir faire face à une liquidation judiciaire : « Je n’y vais pas pour trouver une thérapie ou m’épancher sur mes problèmes mais pour combattre la solitude de l’entrepreneur. Ensemble, nous pouvons assumer voire revendiquer l’échec auprès de différents acteurs que nous rencontrons : les banquiers et les recruteurs notamment. Nous devons trouver des moyens de le gérer humainement et économiquement ». Et cette entreprise semble être un succès : depuis que l’association a été créée fin 2012, 108 membres ont adhéré, vingt et une entreprises ont signé la charte « Second souffle », trois villes -Paris, Rennes et Lyon- organisent des « afterfails » et deux – à Caen et Bordeaux- sont en préparation.
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