En septembre dernier, l'institut Ipsos a décidé de se pencher sur un phénomène bien connu des salariés utilisateurs de smartphones : le « blurring » ou la fin des frontières entre vie professionnelle et vie privée. Le concept ? En acceptant le dit objet de convoitise, le travailleur sait qu'il adopte aussi un fil virtuel au pied de son bureau. Il sait, désormais, que le SMS du boulot au milieu d'une soirée ne pourra donc plus être prohibé. Cet accord « tacite » est d'ailleurs valable dans les sept pays étudiés par l'institut de sondage : 85% des personnes interrogées estiment, en effet, que posséder un équipement mobile a changé leur organisation entre vie professionnelle et vie privée. Mais, ô surprise, alors que l'infobésité est jugée comme un facteur menant au burn out, 79% d'entre eux estiment que ce changement est positif ! Pour 82% des sondés, smartphones et autres tablettes sont des outils qui permettent de travailler plus librement et pour 68% d'entre eux, ils sont des instruments d'organisation entre vie professionnelle et vie privée.
En somme, les lieux de travail auraient donc simplement été remplacés par les temps de travail, nous rendant ainsi plus flexibles et plus aptes à gérer la multiplicité de nos vies ? Non, répond Serge Guérin, sociologue du travail, la réalité est un peu plus complexe : « La liberté que l'on obtient grâce à ces outils n'est pas sans contrepartie : on rend les gens plus autonomes, plus responsables, en échange de beaux outils qu'il est possible d'utiliser pour sa vie professionnelle comme pour sa vie privée. Mais nous ne sommes pas tous faits pour cela et même les plus à l'aise avec les outils technologiques ont besoin d'un accompagnement pour gérer cette forme de travail. » Et en effet, tous ne voient pas le « blurring » d'un bon œil. Ainsi, les Français et les Allemands sont ceux qui en ont l'opinion la plus négative : 3 sondés sur 5 pensent que posséder un équipement pro utilisable à distance est une source de stress et la moitié d'entre eux se sentent coupable de ne pas passer plus de temps avec leurs proches. Une opinion partagée par les Américains qui sont 85% à penser que leur smartphone nuit à leur vie privée. Un quart d'entre eux consultent même leurs mails en cachette.
Une opinion tout à fait opposée à celle des pays émergents, selon l'étude d'Ipsos. Pour les Brésiliens et les Chinois, ces nouveaux modes de travail représentent une chance : 66% d'entre eux pensent que le « blurring » n'est pas vraiment une source de stress, et la même proportion que cela ne nuit pas à la vie privée. Selon 81% des Chinois, ces outils leur permettraient même de passer plus de temps en famille ou avec leurs proches. Alors comment expliquer cette différence de perception ? « La séparation entre vie professionnelle et vie privée est devenue impossible avec les smartphones. Et cette réalité est même devenue statutaire : être obligé de travailler tout le temps, de répondre à des mails en soirée, nous donne le sentiment d'être quelqu'un d'important. » Mais, selon le sociologue, c'est là que se fait la différence entre économies développées et pays émergents : « Dans les premiers, cette perception a fini par disparaître face à la généralisation du smartphone. Quand 70% de la population possède cet outil, ce qui devient statuaire, c'est de le refuser ou de le couper ». Enfin, deuxième élément d'explication selon Serge Guérin : « la modernisation plus soudaine des pays émergents ». « Ces salariés ont sûrement plus en mémoire les difficultés auxquelles ils étaient confrontés il y a dix ans, sans ces nouvelles technologies et les voient donc plus facilement comme une chance. »
S'il existe donc une réelle différence d'appréhension du « blurring » en fonction des pays étudiés, tous s'accordent en revanche sur un point : il n'y aura pas de retour en arrière. 89% des sondés pensent, en effet, que le temps passé à travailler pendant leurs moments privés restera stable ou augmentera dans les années à venir… Une opinion partagée par le sociologue : « Les frontières entre vie professionnelle et vie privée seront de plus en plus floues, c'est une certitude. Mais il restera toujours des formes de travail traditionnelles où l'on se retrouvera ensemble en même temps au même endroit. Le travail, c'est avant tout du lien social. Les humains ont besoin d'autres humains : la connexion ne peut pas être que virtuelle, même pour les plus modernes d'entre nous. »
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