En 55 ans d'existence, Barbie aura exercé pas moins de 150 professions. Jusqu'ici institutrice, vétérinaire, ballerine ou hôtesse de l'air, quand elle n'était pas affublée d'une poussette et d'un marmot pour incarner la parfaite housewife, Barbie s'est récemment découvert un penchant féministe.
Autrefois dévolue aux carrières dites " féminines ", la poupée la plus célèbre au monde truste depuis 2010 les professions " viriles ". Ainsi, en moins de quatre ans, Barbie a fait un tour dans l'espace, s'est présentée aux élections américaines de 2012, a fait des dizaines de transplantations cardiaques et est à l'origine de découvertes scientifiques majeures.
Derrière ces reconversions professionnelles aussi inattendues que soudaines, une volonté de Mattel : tordre une bonne fois pour toutes le cou aux stéréotypes de genre qui entravent la carrière des femmes et prouver aux fillettes à qui sont destinées les Barbie qu'elles peuvent exercer le métier de leur choix. Dans la lignée de ces Barbie nouvelle génération, judicieusement appelée " I Can Be " (Je peux l'être), Mattel a dévoilé en février dernier au Salon du jouet de New York sa nouvelle poupée : Barbie entrepreneuse.
Juchée sur ses talons de 12 cm, vêtue d'un tailleur rose fuchsia, Barbie entrepreneuse a le look de la working girl idéale, jusque dans ses accessoires : en plus de son sac à main et de son portefeuille griffés, la poupée possède aussi une tablette et un smartphone dernier cri. Smart et ultra connectée, en somme. " Nous essayons toujours de faire de Barbie un reflet de notre époque ", explique la porte-parole de Mattel Michelle Chidoni. Les femmes entrepreneuses sont de plus en plus nombreuses et ce chiffre tend à augmenter. C'est un excellent moyen d'encourager les filles à entreprendre le métier de chef d'entreprise. "
Pour plaire à toutes les petites filles, Barbie entrepreneuse a donc été déclinée en huit modèles différents, - parmi lesquelles une Afro-américaine, une Asiatique, une Caucasienne et une Latina - chacune étant censé représenter une facette de l'entrepreneuriat au féminin. Deborah Jackson du site de crowfunding Plum Alley ou encore Rosie O'Neill, créatrice des confiseries Sugarfina ont notamment été choisies comme modèles aux côtés de Reshma Saujani, fondatrice de l'association Girls who code. Interrogée par Wired, cette dernière ne tarit pas d'éloges sur la nouvelle Barbie entrepreneuse. " Malheureusement, dans la culture dans laquelle nous vivons, les filles sont bombardées d'images d'hommes qui font du code, alors que les ingénieurs ne leur ressemblent pas. Quand vous demandez à une fille ce qu'est un informaticien, elle a souvent l'image d'un geek. Et après on se demande pourquoi les filles ne se lancent pas dans de telles carrières ! Nous devons changer la culture populaire et commencer à montrer plus de femmes, plus de femmes cool, dynamiques, créatives, dans ces rôles. "
Pourtant, tout le monde n'est pas du même avis que Reshma Saujani au sujet de Barbie entrepreneuse, et sa commercialisation en février dernier a fait grincer des dents bon nombre de médias. " Trop glamour " pour Entrepreneur, la Barbie chef d'entreprise représente selon Examiner " un retour aux 80's ". Sur Forbes, la journaliste Clare O'Connor va même plus loin : pour elle, cette poupée tout de rose vêtue et aux jambes démesurées est " le dernier affront fait aux petites filles ", tandis que la journaliste du Time Jessica Roy écrit : " Compte tenu du climat professionnel actuel, peut-être Mattel commercialisera-t-il prochainement la Barbie "Je me fais harceler sexuellement mais je ne dis rien dans l'espoir d'avoir une promotion", Barbie "moins bien payée que mes homologues masculins", Barbie "mise au placard car je suis enceinte" ou Barbie "je vais mourir seule et triste à manger cette salade à mon bureau". "
Même son de cloche de la part de Carrie Kerpen, de la société Inc., qui voit comme principal défaut les proportions démesurées de la poupée. " Généralement, devenir une femme entrepreneuse, c'est être assez sûre de soi pour prendre des risques. Et proposer à de jeunes filles des poupées qui leur donnent une vision fausse de ce qu'est la beauté n'est probablement pas ce qui va aider. "
Du côté de Mattel pourtant, on se défend : " Nous savons que Barbie est un paratonnerre à controverses ", a rétorqué Michelle Chidoni. Cette dernière n'en démord pas soulignant que Barbie entrepreneuse, avec ses stilettos et sa tablette, n'est qu'un " reflet de son époque ". " Nous devons aller à la rencontre des filles sur leur propre terrain. Si nous leur proposons des jouets qui les encouragent à se tourner vers l'ingénierie ou la technologie, peu importe qu'ils soient roses, bleus ou orange ", plaide Reshma Saujani.
Une vision que défend aussi Wired qui rappelle que Barbie entrepreneuse ne joue pas dans la même cour que Goldieblox, mais entend " vendre autre chose : ce que Don Draper pourrait appeler l'entrepreneuriat féminin comme un mode de vie. Autrement dit, montrer aux fillettes qu'il n'est pas impossible d'associer glamour et concepts de leadership et de réussite, et qu'elles peuvent ajouter "entrepreneuse" à leurs rêves d'enfants à côté des plus fantaisistes, comme "princesse". "
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