Dans son précédent article sur Terrafemina, Éric-Jean Garcia, chercheur-conseil en sociologie du leadership, était revenu sur la notion de leadership. On le sait désormais, tout le monde n'est pas fait pour être un manager écouté, légitime et à l'autorité naturelle. Pourtant, lorsqu'un certain nombre de conditions sont réunies, il est possible de potentialiser les effets de son leadership. Dans ce but, voici 5 questions fondamentales à se poser.
La chose collective est un enchevêtrement de relations diverses entre des acteurs agissant avec une rationalité limitée et un comportement opportuniste, notamment vis-à-vis des règles auxquelles ils doivent se soumettre. Cela rend la chose collective complexe, changeante et problématique. Elle est donc difficile à appréhender et encore plus à maîtriser. Fort de ce constat, êtes-vous intéressé par la chose collective ou bien cherchez-vous à ce que la chose collective s'intéresse à vous ? Dans un cas, on peut parler de leadership, dans l'autre le terme narcissique sera plus approprié. Il y a au moins deux conditions pour s'intéresser authentiquement à la chose collective :
- Avoir le goût de l'exploration des dynamiques collectives en présence. Il y a par exemple une différence considérable entre recruter des compétences pour former un groupe de travail et faire un casting pour constituer une équipe. En cherchant à réaliser un casting, on s'intéresse forcément aux dynamiques collectives en présence car le focus est autant l'aptitude des personnes à collaborer ensemble que leurs compétences intrinsèques.
- Être motivé par l'idée de contribuer à la réussite individuelle en faisant preuve d'un irrépressible désir de faire grandir les individus professionnellement, mais aussi humainement. La qualité des rapports humains devient alors un objectif incontournable.
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S'interroger sur la compatibilité entre ses aspirations profondes et le contexte dans lequel on évolue est une autre condition au développement de son leadership. Pourquoi cela ? Parce que le leadership est un phénomène éminemment contextuel, sensible aux moyens, aux objectifs, aux règles et aux rapports de force en présence.
La nature des ressources, la stratégie, les conditions de travail ou les relations de pouvoir peuvent s'opposer à vos aptitudes professionnelles ou, plus grave, à certaines de vos valeurs personnelles. Par exemple, combien de traders ont quitté leur salle des marchés en refusant de se prêter au jeu de la surperformance pour progresser dans l'organisation ? Il est des environnements défavorables à un développement serein et durable de son leadership.
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L'omniscience du leader est un mythe persistant qu'il convient de dépasser pour se concentrer sur ses points forts. Car il est une erreur presque « classique » chez les managers soucieux de développer leur leadership : être dans la posture du « soi parfait » pour que leur valeur ajoutée soit omniprésente.
Mais être « bon » partout n'est pas un projet professionnel en soi. En revanche, il est important d'avoir au moins un domaine dans lequel vous excellez. Ce point fort vous donnera une légitimité professionnelle et une invitation à être au service de personnes plus compétentes que vous dans d'autres domaines.
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Pour développer son leadership, il faut travailler son Intelligence rationnelle des situations (IRS), une forme d'intelligence plus large que celle sanctionnée par les systèmes scolaires traditionnels.
Pour le manager, l'IRS se manifeste par une aptitude à comprendre les enjeux en présence, à jauger les faits, à faire preuve d'empathie, à développer des jugements distanciés tout en ayant un sens aigu des priorités ainsi qu'une réelle capacité d'adaptation aux situations. Pour développer son IRS, il faut notamment réussir à combiner deux formes d'intelligences :
- L'intelligence logico-mathématique. Communément désignée par l'acronyme QI, cette forme d'intelligence permet de briller dans de nombreux parcours scolaires, mais se révèle très insuffisante dans un contexte professionnel où le talent collectif est le premier facteur de performance. Non seulement cette intelligence « pure » peut être une entrave au leadership dès qu'elle stimule un sentiment de supériorité, mais elle se révèle souvent incapable d'appréhender la part d'irrationalité qui existe dans chacun de nous.
- L'intelligence émotionnelle. Cette autre forme d'intelligence est de plus en plus souvent mise en avant au motif que les individus se mobilisent davantage par le cœur que par la raison. Ce n'est pas totalement faux, mais certainement pas aussi simple que cela car la finalité du leadership ne peut se limiter à la satisfaction des équipes au travail. D'autres ressors que les émotions doivent être mobilisées pour espérer créer les conditions de la performance estimable et durable.
La cinquième question fondamentale à se poser dans la perspective de potentialiser les effets de son leadership concerne la nature de votre imaginaire au travail. Quelle part laissez-vous à l'idéalisme, à la fantaisie et au « fun » ? En pratique, l'excès de sérieux, la difficulté à se projeter dans le futur et l'absence d'idéaux sont de sérieux freins au leadership.
Comme le suggère James March(1), un leadership éclairé ne peut faire l'économie de ce qu'essaye de nous enseigner Don Quichotte : l'importance de l'imagination au travail, l'engagement comme une quête de soi et la joie, sources d'optimisme et d'ambition créative.
(1)James March, professeur émérite de Stanford University (USA), considéré comme un des pionniers de la théorie des organisations outre-Atlantique.