Aujourd’hui encore, le revenu salarial moyen des femmes est inférieur de 27% à celui des hommes1. Et plus clairement, à temps de travail équivalent, les femmes gagnent 20% de moins que les hommes dans le secteur privé. En cause, les éternels problèmes de la conciliation de la maternité avec l’évolution de carrière, les réunions de direction programmées après 18 heures, la difficulté pour les hommes de s'investir davantage dans la paternité et les stéréotypes antédiluviens qui, encore et toujours, collent aux portefeuilles des recruteurs français.
Dans Les femmes valent-elles moins cher que les hommes ?1, Annie Batlle rappelle ainsi que « ce sont les hommes qui ont bâti et fait prospérer les entreprises, inventé le management. Les femmes sont entrées tardivement, par la petite porte, dans un univers formaté ». Et tentent, depuis, d’imposer leur présence (à part égale, elles) en ce temple sexiste où règne la normâlitude. Rappelons au passage que la notion de « salaire féminin », qui induisait en nos contrées que la femme gagne entre 30 et 50% moins que le tout-puissant « chef de famille », a été abrogée en 1946 mais surtout qu’une femme n’a le droit de travailler ou d’ouvrir un compte en banque sans l’accord de son époux que depuis… 1965 ! Quant à l’image de la femme active et sa légitimité, il semble qu’elle peine à s’installer. N'oublions pas qu'en 2007, un homme aussi lettré que Laurent Fabius avait encore commenté la candidature à l’élection présidentielle de Ségolène Royal de cette question restée tristement célèbre : « Qui va garder les enfants ? »
Oui, qui ? Les femmes, encore et toujours, puisque ce sont les mères qui, dans 91% des cas, gèrent la célèbre tranche 18-20h (bain, dîner, devoirs, histoire). Résultat, celles-ci ressentent bien souvent une culpabilité liée à ce qu’elles considèrent comme un manquement à leur devoir professionnel en comparaison au présentéisme masculin. Ainsi les salariées osent-elles moins que leurs homologues masculins demander une augmentation. « Les femmes s’interrogent sur leurs capacités et n’abordent qu’avec difficulté la question de la rémunération qu’elles négocient rarement. Pour les employeurs potentiels, elles sont souvent, et a priori, soupçonnées d’absentéisme et de refus de mobilité », rappelle Annie Batlle. En effet, 60% d’entre elles ne demandent pas d’augmentation. Et pourtant, 75% d’entre elles ne sont pas satisfaites de leur rémunération.
Le nœud du problème serait-il ainsi à chercher du côté de la négociation salariale ? Pas uniquement, mais il semble bien qu’un sérieux travail soit effectivement à accomplir de ce côté. Viviane de Beaufort, fondatrice des programme « Women » à l’Essec a tenu à attirer notre attention sur un phénomène très révélateur. À compétences et expériences égales, au sortir de l’école, ses étudiants ne perçoivent pas le même salaire de début de carrière (45 596 € annuels pour les garçons contre... 40 410 € pour les filles en 2013 !). Pire, et plus symptomatique encore, alors qu’on a demandé à ces jeunes diplômés d’évaluer leurs prétentions salariales avant leur entrée sur le marché, les filles s’étaient auto-situées 15% en dessous du salaire médiant ; quant aux hommes, ils pensaient, eux, valoir 15% de plus que celui-ci (dont 30% de plus que les femmes)...
Victimes du syndrome de « la bonne élève », il semble que les femmes n’osent pas réclamer par peur de déplaire, elles à qui on a souvent appris qu’il fallait être « sage » et peu contrariante. « Les femmes s’immergent dans leurs tâches, pensant qu’il suffit d’avoir de bons résultats, comme à l’école, pour être récompensées », insiste Annie Battle. Et pourtant, la méritocratie n’est pas forcément la tactique idéale en entreprise où, si l’on ne demande pas, on a peu de chances d’obtenir la gratitude espérée de son patron (de pater, en latin, qui signifie… le père). À l’Essec, Viviane de Beaufort a prévu des ateliers de négociation de salaire pour les filles puisque, ainsi qu’elle le rappelle « le différentiel de salaire ne se rattrape pas ». S’il ne se rattrape pas, il peut néanmoins s’atténuer. Dans le cas de vos enfants, il est du devoir des néo-parents de leur faire intégrer ces notions d’égalité, puisqu’aujourd’hui le salut des pères, désireux eux aussi d'équilibrer vie pro et perso, passera par l’augmentation de la rémunération de leur compagne et, ainsi, par une meilleure répartition des tâches.
Dans le vôtre, il est plus que jamais temps de faire valoir vos droits en négociant avec aplomb lors de votre prochain entretien annuel d’évaluation puisque « si vous ne prenez pas votre destin en main, sinon quelqu’un le fera à votre place » 2. Aujourd'hui, 94% des femmes gèrent le compte bancaire du couple (comme quoi, nous ne sommes pas toujours antithétiques des questions financières) et toutes subissent la woman tax (oui, grande nouveauté, nous payons sans le savoir plus cher au supermarché). Gagner moins pour payer plus ? Il va falloir que cesse l'équation fatale.
1 Les femmes valent-elles moins cher que les hommes ?, Annie Batlle, Éd. belin.
2 Jacques Welsch, ancien patron de General Electric (2005)