Tout ce que vous dit votre interlocuteur vous extasie : sa société est formidable, son service est génial, le poste est exceptionnel, et en plus il y a une cantine, trop top ! Trop c’est trop : plus le décalage s’agrandit entre votre vision idyllique de sa société et la dure réalité qu'il ne connaît que trop bien, plus il se dit que vous n’allez jamais vous adapter, que votre désillusion va être cosmique et que mieux vaut renoncer tout de suite à votre précieuse candidature.
Vous cherchez un poste de manager, mais vous aimez bien aussi travailler seul. Votre secteur de marché préféré c’est la santé, mais la banque et l’industrie sont aussi des secteurs intéressants. Vous aimez le contact client, mais un poste en back-office vous conviendrait aussi. Vous aimez avoir des postes qui demandent de la créativité, mais vous savez aussi très bien faire appliquer des procédures. Arrêtez-vous là, votre interlocuteur a compris que vous étiez complètement aux abois et prête à prendre n’importe quel job à n’importe quel salaire. Il va au choix jeter votre CV ou vous proposer un poste scandaleusement sous-payé.
Vous entamez une grande tirade sur le thème « j’ai du talent mais on ne m’a jamais permis de l’exprimer ». Votre ancien patron n’a jamais su voir les trésors de qualités qui se cachent sous votre apparente modestie, vous avez joué de malchance, chaque fois que vous étiez sur le point d’être promue un évènement externe a contrarié votre projet. Vous sentez qu'ici on va vous comprendre, on va enfin vous permettre de déployer vos ailes. Là vous vous attendez presque à voir le recruteur sortir son mouchoir, mais bizarrement il est en train de ranger ses papiers et vous signale la fin de l’entretien. Qui a envie de recruter une victime ? Soit vous êtes nul, soit vous n’avez pas de chance et dans les deux cas, vous n’êtes pas attractif.
A la question « pourquoi quitteriez-vous votre job actuel ? », vous commencez par répondre qu’il ne vous comble pas complètement, puis poussée à expliquer plus précisément ce qui ne va pas, vous vous mettez à décrier la façon dont votre société est organisée, l’ambiance délétère qui y règne, la compétition qui y fait rage pour finir par une envolée très imagée sur tous les défauts de votre supérieur hiérarchique actuel qui n’est dans le fond rien d’autre qu'un arriviste et à qui vous serez bien content de claquer votre démission et d’en profiter pour lui asséner tout le bien que vous pensez de lui. Dommage, votre interlocuteur a trouvé votre histoire très intéressante, surtout quand il s’est imaginé dans le rôle de votre chef avec vous en face en train de lui vociférer votre haine. Vous avez sans doute réussi à ce qu'il ressente de la compassion pour votre malheureux chef, mais certainement pas à ce qu'il ait envie de vous embaucher.
Vous étiez un commercial arrogant et toujours pressé, vous avez fait un début de burn-out, vous avez pris un congé sabbatique pour réfléchir au sens de la vie et vous avez lu 15 livres sur la force de l’instant présent et la nécessité de lâcher prise. C’est votre premier entretien depuis votre prise de recul et vous êtes décidé à faire profiter votre recruteur de votre sagesse nouvelle. Vous lui expliquez que vous allez manager votre équipe de manière totalement respectueuse du bien-être de chacun, que vous allez les encourager à faire la sieste après chaque repas et que vous ne leur fixerez aucun objectif pour qu'ils sentent la force de votre confiance. A la question « et si votre équipe ne fait pas son quota, vous ferez comment ? », vous répondez avec un air savamment inspiré que l’important n’est pas de faire son quota mais de construire une équipe soudée, capable de délivrer des performances dans l’harmonie et la durée. Après un bref regard d’incrédulité, le recruteur note son appréciation : « véto de la RH, incapable de s’y remettre, fait de la psy au lieu de faire des quotas ».
Crédit photo : iStockphoto