« Montrer qu'on peut avoir un cancer et continuer une vie au travail », faire comprendre aux employeurs que « la mise en congé longue maladie n'est pas forcément la meilleure solution » et « aider à faire évoluer le regard de la société sur cette maladie dont le nom est terriblement anxiogène ». Autant de raisons pour lesquelles, après huit mois de silence, la ministre déléguée à la famille Dominique Bertinotti a rendu public son cancer du sein. Dès la révélation de sa maladie vendredi dernier, les témoignages de soutien et les hommages se sont multipliés, anonymes et responsables politiques saluant son courage et lui souhaitant un prompt rétablissement. Un concert auquel certaines des 53 000 femmes touchées par le cancer du sein refusent de se joindre.
>> Octobre rose : la pilule contraceptive, responsable de l'épidémie de cancer du sein ? <<
En cause notamment, le message selon lequel conserver une activité professionnelle est un atout face au cancer. « C'est d'une maladresse catastrophique, cette référence aux employeurs, alors que des patientes perdent leur job à cause de leur cancer ! Elle envoie aux employeurs le message que, si des employés s'arrêtent à cause d'un cancer, ce sont des tire-au-flanc », s'indigne sur LeMonde.fr Hélène Bénardeau, une enseignante de 43 ans atteinte d'un cancer. Une crainte partagée par Paola, 42 ans. « C'est remarquable ce qu'elle a fait, mais attention à ne pas généraliser. Nous ne vivons pas toutes de la même manière cette maladie. C'est l'idéal de pouvoir continuer à travailler, mais par moments, c'est totalement impossible », insiste-t-elle. Et d'ajouter : « Ce qui m'inquiète, c'est la réaction des personnes pas malades qui risquent de la prendre comme une référence. »
À l'opposé de l'effet escompté par Dominique Bertinotti, certaines patientes se sont purement et simplement senties dévalorisées par son récit teinté d'héroïsme. « En la lisant, je me suis sentie une chochotte et une profiteuse », confie Chantal, une cadre de 55 ans qui a pu garder son emploi à temps plein mais qui, pendant ses vingt ans de lutte contre la maladie, a multiplié les arrêts maladie. Sur Rue89, Antonine préfère quant à elle ironiser : « J'ai un cancer et moi je ne suis ni digne ni courageuse. Je n'ai pas la conscience professionnelle d'un ministre, je ne pense qu'à ma peau, je ne suis pas taraudée par la question "Vais-je pouvoir continuer à travailler ?" », écrit-elle. Autre point de friction, la rapidité du parcours de soin décrit par l'élue alors que les malades font face à une toute autre réalité. « Avez-vous bien vécu la même chose que nous Madame ? N'avez-vous pas vécu ce que l'on pourrait appeler un cancer de riche, de nanti ? », interroge d'ailleurs Catherine Cerisey dans son blog. « Elle ne peut pas s'ériger en exemple », tranche pour sa part Chantal, déplorant « la dimension d'exemplarité » du témoignage de Dominique Bertinotti.
Malgré tout, et bien que troublées par le message véhiculé par la ministre déléguée à la Famille, nombre de femmes atteintes d'un cancer comptent désormais sur elle pour faire entendre leur voix. « Nous allons enfin avoir une alliée dans l'hémicycle, quelqu'un qui touché dans sa chair connaît notre souffrance et, peut-être, certains de nos besoins. J'espère qu'elle n'en restera pas là, qu'elle prendra le temps de recevoir d'autres femmes touchées, des associations de patientes, qu'elle réfléchira avec nous à des solutions », souhaite Catherine Cerisey. Et d'en appeler à la ministre : « C'est maintenant de votre responsabilité, nous comptons sur vous ! »