C'est une situation qui dure depuis deux mois. Le 16 octobre dernier, les sages-femmes débutaient une grève illimitée afin d'obtenir une meilleure reconnaissance de leurs compétences et une revalorisation salariale. Et alors que ce mouvement social s'est poursuivi pendant plusieurs semaines dans la plus grande discrétion voire dans l'indifférence générale, le collectif d'associations et de syndicats de sages-femmes est désormais bien décidé à se faire entendre, quitte à déserter les maternités.
Lundi, en début d'après-midi, elles étaient ainsi près de 4 000 selon les organisateurs (2 000 selon les autorités) à descendre dans les rues et à déambuler de la place Denfert-Rochereau au ministère de la Santé pour manifester leur ras-le-bol. Une marche pacifique qui ne s'est d'ailleurs pas exactement déroulée comme prévue. « Arrivées devant le ministère de la Santé, nous avons été accueillies pas des CRS munis de leur dispositif anti-émeute », raconte Céline Vicrey, sage-femme au chômage. Et d'ajouter : « Ils n'ont pas hésité à nous molester. J'ai fini aux urgences après avoir reçu plusieurs coups de pied, comme quelques-unes de mes collègues. » Plus tôt dans la journée, le collectif qui assistait à une réunion de concertation au ministère avait claqué la porte des négociations faute d'avoir obtenu une réponse satisfaisante à sa revendication principale : la révision du statut des sages-femmes. « Nous sommes diplômées bac+5 avec quatre ans de spécialisation et nous voulons simplement pouvoir exploiter tous les champs de compétences de notre métier sans être cantonnées, comme c'est le cas dans certains hôpitaux, aux salles d'accouchement et aux soins des bébés », explique Céline Vicrey.
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Concrètement, les grévistes exigent d'être assimilées aux praticiens de premier recours pour être plus visibles dans le parcours de soin des femmes. « Nous sommes aptes à faire de la prévention, du dépistage, de la contraception ; en bref, à assurer le suivi gynécologique des femmes qu'elles soient enceintes ou non. Nous y autoriser permettrait de ne pas multiplier les intervenants médicaux, de limiter les risques de complication lors d'une grossesse et de faire bénéficier les patientes d'une prise en charge globale ». Le deuxième pan de leurs revendications est statutaire. En effet, les sages-femmes sont actuellement considérées comme personnel non-médical et font partie de la fonction publique hospitalière. Or, elles ne veulent plus être assimilées à des fonctionnaires. « C'est un statut entre le directeur d'hôpital et le brancardier », ironise Céline Vicrey, signalant qu'à la différence des médecins, les sages-femmes n'ont ni autonomie ni perspective d'évolution et sont bien moins rémunérées. « Par exemple, nous ne pouvons être hospitalière et universitaire, alors qu'un médecin peut sans problème cumuler ces deux fonctions. Quand on est hospitalière, on est condamnée à le rester toute sa vie », déplore-t-elle.
Problème, jusqu'ici, les négociations entre les différentes parties ont toutes échoué. Édouard Couty, qui mène la concertation pour le ministère de la Santé, « nous a fait deux propositions qui ne tiennent pas compte de nos revendications : rester dans la fonction publique hospitalière ou accepter un nouveau statut de praticien en maïeutique avec les inconvénients du statut de praticien hospitalier, sans les avantages », rapportait d'ailleurs Adrien Gantois, le porte-parole du Collège national des sages-femmes, en début de semaine aux médias. Or, selon lui, la deuxième proposition ferait des sages-femmes une « sous-filière médicale ».
Face à ce statu quo, les sages-femmes ne désarment pas et auraient même tendance à durcir leur mouvement. « Nous sommes épuisées physiquement et nerveusement mais si nous n'obtenons rien de Marisol Touraine, nous taperons plus haut. Nous frapperons à la porte du Premier ministre ou même à celle du président de la République, s'ils acceptent de nous recevoir », prévient Céline Vicrey qui campe depuis près d'une semaine, avec plusieurs collègues, devant la maternité de Port Royal dans le XIVe arrondissement de Paris. Et alors que le mouvement n'avait pas encore perturbé le fonctionnement des maternités, c'est désormais le cas. « Certaines sages-femmes, à bout de nerfs, ce sont mises en arrêt de travail. Ce matin, dans deux maternités de la région parisienne, nos collègues qui ont assuré la garde de nuit n'ont pas pu quitter leur service, faute de relève », nous affirmait hier, Céline Vicrey. Et selon l'AFP, ce matin encore, une quinzaine d'arrêts-maladie ont été déposés par les sages-femmes du centre hospitalier de Mantes-la-Jolie (Yvelines), tandis qu'à Poissy, celles qui devaient prendre leur service ce matin ne se sont pas présentées, attendant chez elles de recevoir en main propre une lettre d'assignation de l'hôpital. Cette désertion dont les conséquences peuvent être « dramatiques » permettra-t-elle enfin aux sages-femmes de se faire entendre ?
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