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Touchers vaginaux sur patientes endormies : "La partie émergée de l’iceberg"
Publié le 5 février 2015 à 12:12
Par Ariane Hermelin | Journaliste Terrafemina
Un document interne de l’Université de médecine de Lyon-Sud recommandant de faire pratiquer aux étudiants des touchers vaginaux sur des patientes inconscientes a engendré une vaste polémique. Face au scandale, les médecins du service de gynécologie de l’hôpital ont donné une conférence de presse mercredi 4 février pour se défendre. Interviewé par « Terrafemina », Martin Winckler estime qu’« en France, on fait encore comme si il n'y avait pas de problème, comme s'il n'était pas besoin d'éduquer les médecins et de vérifier leur comportement ».
Touchers vaginaux sur patientes endormies : "La partie émergée de l’iceberg" Touchers vaginaux sur patientes endormies : "La partie émergée de l’iceberg"© Thinkstock
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L’affaire des « touchers vaginaux » n’en finit pas de rebondir, depuis la diffusion d’un document issu de la Faculté de médecine de l’Université Lyon-Sud. Il y est indiqué que « l’examen clinique de l’utérus et des annexes par le toucher vaginal et le palper abdominal » peut se faire « en apprentissage au bloc sur patiente endormie ». L’article publié par le site Metronews révélant cette pratique méconnue qui pose de manière aiguë la question du consentement des patientes a créé (à juste titre) un tollé.

Les médecins du service de gynécologie de l’hôpital ont tenu une conférence de presse ce 4 février pour démentir catégoriquement que les étudiants de la faculté s’exerceraient à des touchers vaginaux sur des patientes endormies. « Il y a une part de fantasmes dans cette histoire, estime François Golfier, chef du service gynécologie-obstétrique de Lyon-Sud. Mais il ne faut pas que les gens s'imaginent qu'il se passe des horreurs dans les blocs opératoires. » Les médecins se sont même dits prêt à être filmés pour mettre fin à cette polémique. 

Pour Martin Winckler, médecin et romancier, ce scandale illustre le mépris des médecins français vis-à-vis des patients, et en particulier des patientes. Interview.

Que pensez-vous du démenti du chef du service de Lyon Sud, qui a affirmé hier qu’ « il n'a jamais été organisé de formation sur des patientes endormies à destination des étudiants » ?

Je pense que c'est bien évidemment du « damage control » (une manière de limiter les dégâts, ndr), mais que, stricto sensu, il dit vrai : les touchers vaginaux sur patientes anesthésiées n'ont jamais été une pratique « organisée ».
Mais c'est une pratique sauvage, laissée à « l'appréciation » des praticiens qui suggèrent ou non, en fonction de leur mode de pensée, aux étudiants de procéder ainsi. Le document retrouvé est probablement une bourde faite par quelqu'un qui voulait « formaliser » une pratique pour pouvoir évaluer les acquis des étudiants. Mais le fait que cela soit écrit noir sur blanc sur un document aurait dû faire réagir les lecteurs (étudiants ou enseignants), et le problème aurait dû être soulevé. Or il a fallu qu'une personne extérieur le fasse.
Les déclarations du chef de service devraient être plus modestes : il peut certainement affirmer que ça n'est pas « conseillé » dans son service, mais pas que « cela ne s'est jamais passé ». Peut-il jurer que ses assistants ne proposent jamais ça à leurs étudiants ? Il n'en sait rien.

Le problème n'est pas de savoir si cela a lieu ou pas. Le fait est, cette pratique a eu lieu partout, y compris à l'étranger. C’était l’usage il y a encore 50 ans.
Mais, en France, il n'y a pas de recommandation formelle pour dire que cela NE DOIT PAS avoir lieu. Il n'y a pas d'application de la loi Kouchner, puisque le consentement n'est pas demandé, même pour des gestes bien plus anodins que le toucher vaginal. Le problème est plus complexe. Cette affaire d’examens « sous anesthésie » n’est que la partie émergée de l’iceberg. 

Personnellement, ce que je souhaiterais,
c'est qu'il y ait des directives nationales claires à ce sujet, qui s'imposent à tous, comme chez nos voisins du Nord et dans les pays anglophones.
Que les équipes pédagogiques fassent ce qu'on fait ailleurs : enseigner avec des mannequins ou des patient(es) volontaires, rémunéré(es) et contractuelles, comme aux Pays-Bas, au Québec, etc… 
Qu'il y ait un changement d’attitude générale sur tout le territoire, et que les personnes qui les enfreignent puissent être sanctionnées. Mais la  « culture » médicale française veut qu'on laisse tout le monde faire ce qu'il veut. On veut sanctionner l'absentéisme des enfants en supprimant les allocations des parents, mais pas question de contrôler les manquements à la loi des médecins ! On est encore dans l'Ancien Régime...

Je viens d'aller me faire opérer d'une cataracte des deux yeux, à six semaines d'intervalle, et j’ai été mille fois mieux traité à l’hôpital de Montréal où je suis allé, pourtant surchargé, que dans les hôpitaux français que j'ai fréquentés. C'est une question d'attitude. On a répondu plutôt deux fois qu'une à toutes mes questions, on ne m'a jamais pressé ou harcelé, on m'a toujours laissé le temps de réfléchir. Et ce n'est pas parce que je suis médecin, car le personnel l’ignorait.
J'ai vu comment on traitait les autres patients autour de moi, femmes, hommes, étrangers, membres d'autres ethnies, etc. Le même respect, la même patience, les mêmes protocoles posés et en même temps hyper efficaces... Donc, qu'on ne dise pas que « demander le consentement des patients, cela prend du temps », parce qu'en fait, expliquer et rassurer, cela fait gagner du temps.

Que vous inspirent les propos de Bernard Hédon, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, qui estime, dans L'Obsque demander son consentement à une patiente avant de pratiquer un toucher vaginal au cours de son intervention chirurgicale est « aller trop loin dans la pudibonderie » ?

Ce monsieur n'a manifestement aucune notion de ce qu'est l'éthique biomédicale aujourd'hui. Le consentement éclairé - c'est à dire l’information COMPLETE et l’assentiment libre du patient - est le pivot de l'éthique biomédicale contemporaine.

Dans les pays anglo-saxons, on vérifie périodiquement que les règles d'éthique sont appliquées. En France, on fait encore comme si il n'y avait pas de problème, comme s'il n'était pas besoin d'éduquer les médecins et de vérifier leur comportement.

De plus, Monsieur Hédon mélange deux choses : l'examen pratiqué par l'opérateur qui doit intervenir et l'examen « pédagogique » pratiqué par l'étudiant. En Angleterre ou en Irlande, quand des étudiants sont présents pendant une anesthésie générale, on demande le consentement écrit des patients pour qu'ils pratiquent des gestes « pédagogiques ». La plupart sont d'accord, car ils sont prévenus. Ce qui est choquant dans cette situation, encore une fois, c'est que les médecins français pensent qu'il n'est pas nécessaire de prévenir les patient(e)s ou de leur demander leur avis. C'est là que se situe le hiatus majeur. 

« On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus, mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent. », a déclaré le doyenne de l'université de Lyon Sud. L'importance de la notion de consentement des patients est-elle encore largement sous-estimée par le corps médical français selon vous ?


Là encore, c'est stupéfiant : tout le propos du consentement, c'est précisément de signifier au patient qu'il a le droit d'exercer sa liberté de choix en disant oui ou non. Il a toujours le droit de dire non, et c'est très bien : il n'a pas à être forcé, il n'a pas à être manipulé ou pris par surprise, il n'a pas à être trompé. Ce sont des notions qu'on accepte comme universelles depuis le traité de Nuremberg en 1947 !

Et aucun patient n'a à entendre des choses telles que : « Il faut bien que les étudiants apprennent, vous êtes dans un CHU », car entrer dans un CHU ne contraint pas à se faire examiner par un étudiant et la nécessité de consentement n'est pas levée du fait de la nature de l'établissement. Et encore moins : « Vous n'avez qu'à vous faire soigner ailleurs ». Le patient a le choix du lieu, du médecin, des traitements... La loi dit qu'il a TOUJOURS le choix, et ce sont seulement certains médecins qui disent et prétendent qu'il ne l'a pas !

Dire « J'ai peur qu'elles disent non », ce n'est pas seulement le signe d'une absence totale de compréhension de ce qu'est l'éthique médicale, mais c'est complètement désarmant, qui plus est venant d'une doyenne, c'est à dire de la responsable de l'enseignement de toute une faculté de médecine !

Récemment, la question du sexisme du corps médical français est revenue sur le tapis à plusieurs reprises : des internautes ont brocardé le sexisme des gynécologues français, le « point du mari » a fait couler beaucoup d'encre... Pensez-vous que les médecins français aient « un problème » avec les femmes ?


Je pense que beaucoup de médecins français (pas tous, mais un trop grand nombre) ont un problème avec les patients. La culture médicale française les amène à penser qu'ils sont moralement et intellectuellement supérieurs aux patients, et qu'ils savent toujours « ce qui est mieux pour eux ». 

D'où des comportements tantôt paternalistes (« Ne vous en faites pas, faites-moi confiance, pas la peine de me poser des questions, vous n'allez pas comprendre »), tantôt franchement méprisants ou désinvoltes. 
Et comme 70% des patients sont des patientes, ce paternalisme (ou ce mépris) se porte surtout sur les femmes. Mais il est général : beaucoup d'hommes, des enfants, des personnes âgées des deux sexes, des personnes homosexuelles, intersexuées ou transgenre, des adolescents, des toxicomanes - et plus généralement, tout ce qui n'est pas « dans la norme » peuvent se faire rabrouer, juger, insulter par des médecins.

C'est une attitude qui provient essentiellement de ce que le corps médical adopte encore, peu ou prou (et souvent à l'insu de beaucoup de ses membres) une posture « aristocratique » face au reste de la société.



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