Société
"Notre poison quotidien", l'interview de Marie-Monique Robin
Publié le 7 avril 2011 à 09:00
Par Marine Deffrennes
L’épidémie de cancers qui sévit depuis 30 ans est-elle le fait de notre agriculture chimique ? Pas de doute pour la journaliste Marie-Monique Robin qui lance un pavé dans la mare avec son enquête à charge. « Notre poison quotidien » (La découverte et Arte éditions) lève le voile sur la façon dont on autorise les pesticides dans les champs et les assiettes. Entretien.
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Marie-Monique Robin est journaliste indépendante et réalisatrice, lauréate du prix Albert Londres en 1995, elle est l’auteur du documentaire et best-seller « Le Monde selon Monsanto » (La découverte et Arte éditions, 2008).

Terrafemina : Votre documentaire et votre livre « Notre poison quotidien » (La découverte et Arte éditions) dénoncent les ravages de l’industrie chimique sur notre santé. Comment avez-vous pris conscience de ce problème ?

Marie-Monique Robin : C’était la suite logique de mon travail sur la firme Monsanto, leader mondial dans la production d’OGM et de pesticides – « Le Monde selon Monsanto ». Je démontrais comment Monsanto était liée à l’administration nord-américaine et cachait ses données, je me suis demandé si c’était une exception. Malheureusement cette enquête m’a permis de prouver que cet empire était loin de constituer une exception dans l’agrobusiness. J’ai voulu savoir comment étaient testés les produits chimiques par les autorités sanitaires, et quel pouvait être le lien entre ces produits et les maladies dites « évitables » par l’OMS, comme les cancers.

TF : Vous remontez aux origines des pesticides et montrez que la plupart de ces substances ont été élaborées pour servir d’armes de guerre. Comment a-t-on pu permettre leur utilisation massive dans l’agriculture ?

M.-M. R. : C’est assez troublant en effet. Avec le développement de la chimie organique les premiers gaz de combat sont nés pendant la Première Guerre mondiale : gaz de chlore, phosgène (encore utilisé comme composé chimique dans l’industrie des pesticides), gaz moutarde… La recherche a progressé mais pendant la Seconde Guerre les Alliés ont renoncé à utiliser certains produits en raison de leur dangerosité : les industriels ont continué et ont recyclé ces nouveaux produits pour augmenter les rendements agricoles. On a créé des besoins et un bel emballage pour habiller la « révolution verte », la révolution industrielle des campagnes. On ne disait plus « pesticides » mais « produits phytosanitaires », il fallait anéantir par la chimie toutes les mauvaises herbes et parasites. C’était la chimie triomphante, un business qui s’attaquait à la moindre fourmi rouge.

TF : Pourquoi aucune soupape de sécurité n’a été mise en place à l’époque ?

M.-M. R. : Sur certaines images d’archive des années 50 il est étonnant de voir des villes entières et des cultures traitées au DDT. Cet « insecticide miracle » permettait de venir à bout de tout insecte nuisible, et on encourageait les femmes à nettoyer leurs placards avec des éponges imbibées de ce produit. A l’époque on avait une confiance aveugle dans la science, personne ne pouvait aller contre le « progrès ». Répertorié depuis 1995 comme un « polluant organique persistant », le DDT est banni par la convention de Stockholm depuis 2001. A long terme, cette substance agirait comme un perturbateur endocrinien, induisant des cancers, des malformations congénitales et des troubles de la reproduction, notamment chez les sujets exposés in utero.

TF : A vous lire, il devient douteux de faire confiance aux organes officiels comme la Food and Drug Administration américaine (FDA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), l'Agence française de sécurité sanitaire (AFSSAPS), ou même l’Académie de médecine. Comment se repérer ?

M.-M. R. : En effet c’est difficile. Mais les chiffres sont là pour prouver les liens entre les pesticides et l’augmentation des cancers, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) ne laissent pas d’ambiguïté dans leurs rapports. Ceux qui disent le contraire défendent l’ordre industriel et se livrent à de véritables campagnes de désinformation avec la complicité de certaines institutions. C’est une machine infernale de déni, mais cette épidémie de maladies chroniques n’épargne personne, et petit à petit des produits sont retirés du marché. Le problème c’est qu’on attend toujours de compter les morts pour agir, comme cela a été le cas pour l’amiante.

TF : Manger les produits labellisés Bio peut-il suffire à se protéger ?

M.-M. R. : Oui c’est une protection au niveau individuel qui encourage le système à évoluer, et qui protège les enfants, beaucoup d’études le prouvent. Il y a encore des centaines de milliers de produits chimiques qu’on n’a jamais testés, le consommateur n’est pas protégé face à cette inconnue : c’est le produit qu’on protège ! Il faut repenser complètement notre consommation, nous rééduquer à manger en fonction des saisons, acheter Bio et local le plus possible.

Marie-Monique Robin, « Notre poison quotidien », (La découverte et Arte éditions), 22 €.

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