Société
Tunisie : un an après « même si les têtes sont pourries, le corps ne l'est plus »
Publié le 14 janvier 2012 à 09:00
Par Marine Deffrennes
Le 14 janvier 2011, Ben Ali quittait la Tunisie, chassé par un mouvement révolutionnaire sans précédent. Un an plus tard, la nouvelle Constitution doit voir le jour, et un gouvernement issu du parti Ennahda dirige le pays. Pour Linda Ben Osman, enseignante de 29 ans et militante indépendante pour la démocratie, le peuple qui s’est éveillé politiquement ne reviendra plus jamais en arrière.
Tunisie : un an après « même si les têtes sont pourries, le corps ne l'est plus » Tunisie : un an après « même si les têtes sont pourries, le corps ne l'est plus »© Tunisie/2011
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Terrafemina : Un an après, comment analysez-vous l’évolution de la situation politique en Tunisie ?

Linda Ben Osman : Nous avons gagné une bataille, celle de la liberté d’expression. Pour moi c’est le seul gain vraiment visible depuis l’année dernière. Des journaux ont été créés, la télévision a changé de ton, et les quelques dérives sont très vite signalées. Par exemple, le lendemain de la victoire d’Ennahda aux élections, un reportage diffusé sur la chaîne officielle (TTN) a provoqué l’indignation, parce qu’il proclamait la victoire de l’islam. Une marche de protestation a eu lieu devant le siège de la TTN, et le soir même la chaîne s’excusait officiellement au 20 heures. Mais il ne faut pas oublier que la Révolution est née à Sidi Bouzid de revendications sociales, la démocratie et la liberté sont venues se greffer sur ces attentes. Or la question économique et sociale n’a pas été réglée, au moins quatre personnes se sont immolées durant la première semaine de janvier par désespoir face à la montée du chômage. Les gens attendent énormément sur ces questions, et je pense que le gouvernement aura du mal à fournir des réponses sur le court terme.

TF : En quoi consiste votre engagement politique depuis les élections d’octobre dernier ?

L. B. O. : Je suis redevenue spectatrice mais je m’engage sur des campagnes qui me touchent. La dernière en date concerne l’« OpenGov » (« Open government »), c’est-à-dire la transparence des données publiques. En l’occurrence il s’agit de rendre les débats politiques accessibles aux citoyens, non seulement les discussions de l’Assemblée constituante (qui sont retransmises à la télévision), mais aussi les commissions qui travaillent en parallèle et qu’il était question de rendre secrètes. Une campagne de pression intitulée « #7ell » (littéralement en dialecte tunisien : « ouvrir ») a été lancée sur Internet, et nous avons obtenu gain de cause lors du vote du règlement intérieur de l’Assemblée le 5 janvier : les comptes-rendus de toutes les commissions seront publiés sur Internet.

Site officiel de la campagne « #7ell » organisée par OpenGovTN

TF : L’arrivée au pouvoir du parti pro-islamiste Ennahda est-elle un facteur d’inquiétude ?

L. B. O. : Au début, oui. Mais aujourd’hui aucune décision du gouvernement n’est acceptée telle quelle. Les gens n’ont plus peur de dire qu’ils ne sont pas d’accord, et cela empêchera les dirigeants de nous faire revenir en arrière. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il s’agisse d’un gouvernement de droite, et je me demande comment il pourra répondre aux demandes sociales de la population.

TF : Récemment ce gouvernement a nommé d’anciennes personnalités proches du régime de Ben Ali à des postes clés dans les médias. N’est-ce pas une menace pour la liberté d’expression ?

L.B. O. : C’était préoccupant jusqu’à ce que les journalistes manifestent lundi dernier Place de la Kasbah (Tunis) et fassent reculer le gouvernement. Même si les têtes sont pourries, le corps ne l’est plus. Plus personne ne se taira face aux nominations étranges ou abusives.

Voir le dossier de la rédaction sur la Tunisie

Crédit photo : (Saif Chaabane)Tunisie/2011

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