Société
Antoine Sfeir : « qu'attend-on pour secourir les populations de Homs ? »
Publié le 24 février 2012 à 09:49
Par Marine Deffrennes
Journaliste franco-libanais, Antoine Sfeir a consacré sa carrière à observer le monde arabe. Directeur des « Cahiers de l'Orient », il préside également le Centre d'études et de réflexions sur le Proche-Orient. Invité du dîner de l'association Terrafemina à l'Unesco le 13 février, il nous livre son regard sur la transformation des révolutions arabes.
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Terrafemina : Observateur du monde arabe durant toute votre carrière, aviez-vous pressenti le Printemps arabe ?

Antoine Sfeir : Ni le Printemps arabe ni les tempêtes du désert qui l’accompagnent, je pense à la Libye au Yémen à Bahreïn, et à la Syrie qui ont aussi connu des soubresauts. En janvier 2010, nous avons écrit avec Christian Chesnot : « Orient-Occident, le choc ? Les impasses meurtrières » (Le Livre de Poche), où nous dressions un tableau catastrophique de tout le monde arabe en disant que ça allait finir par éclater, du fait des problèmes socio-économiques. On ne pouvait pas ignorer éternellement que 70% de la population de ces pays a moins de 30 ans. Les choses devaient bouger.

Tf : Que pensez-vous de la formule « Printemps arabe » ?

A. S. : Cette expression relève du romantisme pur de la presse française qui ne parle pas les langues arabes et qui affirme en toute imposture que le « Printemps arabe » continue, alors qu’aujourd’hui il faut reconnaître qu’il est sérieusement mal engagé ! Au début il a existé, quand les jeunes sont descendus dans la rue, et je signale qu’aucun d’entre eux n’a fait référence à l’islam ni à Israël. Aujourd’hui tout a changé. En outre cette expression ne tient pas compte des spécificités de chaque pays.

Tf : Un an après la chute des régimes dictatoriaux de Ben Ali, d’Hosni Moubarak et de Mouammar Kadhafi, comment voyez-vous évoluer la situation ?

A.S. : La Libye est en guerre civile, c’est un pays éclaté, soit quatre pays en un. L’équilibre régional et tribal est à reconstruire. En Tunisie, si le processus démocratique se poursuit, on pourrait avoir de bonnes surprises dans un an, avec les élections législatives, où l’on verra les islamistes – Frères musulmans et salafistes- revenir à un score plus raisonnable et plus représentatif de ce qu’ils sont vraiment dans la société, c’est-à-dire entre 25 et 30% (ils ont raflé 90 sièges sur 217 dans la Constituante élue en octobre 2011, ndlr). Mais en attendant ils vont encore essayer de grignoter du terrain. On ne peut pas présumer de leur capacité à gouverner démocratiquement, mais je ne fais pas partie de ceux qui disent qu’ils doivent passer par le pouvoir, parce que je ne suis pas sûr qu’ils le rendent, surtout quand ils sont appuyés par des pays comme le Qatar, qui est certainement l’un des états arabes les plus extrémistes et les plus dangereux. Il est wahhabite, comme l’Arabie saoudite, le Coran y tient lieu de constitution, et c’est là tout le problème.

Tf : Comment comprendre la poursuite des mouvements de contestation en Egypte ?

A.S. : En Egypte, pour le moment l’armée reste l’ossature du régime, le garant de la constitution et de « l’ordre public », comme ils le disent eux-mêmes, , l’actuelle et la prochaine, et surtout le garant de la signature de l’Egypte sur la scène internationale. Les jeunes sont redescendus dans la rue pour rejeter la bipolarité entre l’armée et les Frères musulmans. Ils ont le sentiment de s’être fait voler leur révolution, et il se passe la même chose en Tunisie.

Tf : Quelle doit être l’attitude de la France à l’égard de ces pays ? Faut-il croire et œuvrer pour la démocratie ?

A.S. : La France avait un avantage sur tous les autres pays du monde, parce qu’elle parlait à tout le monde, les dictateurs et les opposants. Aujourd’hui elle a pris parti et ne peut plus se permettre ce dialogue. En Libye, la tribu Warfalla, la plus importante du pays, a déjà repris quatre villes, et la France ne peut rien faire car elle a lancé cette guerre avec l’OTAN contre ces tribus. C’est à notre honneur d’avoir voulu protéger la population de Benghazi, c’est à notre déshonneur d’avoir laisser massacrer la population de Syrte. Il aurait fallu être une force d’interposition et non pas une force d’action. Je veux surtout qu’on n’arrête de nous mentir, quand on nous dit qu’il n’y a plus de diplomatie d’intérêts mais une diplomatie de valeurs. Qu’attend-on alors pour imposer un régime démocratique en Arabie saoudite et au Qatar ? Qu’attend-on pour aller au secours des populations de Homs et de Hama ?

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