Société
Tunisie : l'impunité des bourreaux remet de l'huile sur le feu
Publié le 14 juin 2012 à 11:48
Par Marine Deffrennes
Après les violences du début de semaine en Tunisie, le verdict du procès des responsables de la sanglante répression de Thala et Kasserine en janvier 2011 vient de tomber. Si l'ex-président Ben Ali est condamné à la prison à perpétuité, de nombreux piliers de la police s'en sortent avec des non-lieux. Les proches des 22 victimes crient vengeance.
Tunisie : l'impunité des bourreaux remet de l'huile sur le feu Tunisie : l'impunité des bourreaux remet de l'huile sur le feu© AFP
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La goutte d’eau du verdict très contesté du tribunal militaire de Kef en Tunisie, va-t-elle faire déborder le vase ? Mercredi, le juge a rendu son verdict dans le procès ouvert il y a six mois, contre 22 responsables de la répression survenue dans les villes de Thala et Kasserine entre le 8 et le 12 janvier 2011, et qui a fait 22 morts. L’ex-président Ben Ali a été condamné à perpétuité pour son rôle dans la répression du soulèvement populaire, tandis que d’anciens responsables de son régime ont écopé de peines de prison allant de 8 à 15 ans, pour homicides volontaires ou complicité. Néanmoins, dix accusés s’en sont sortis avec un non-lieu. S’agissant d’ex-piliers du ministère de l’Intérieur, cette issue a soulevé la colère des familles des victimes.

Le 23 mai, c’est la peine de mort qui avait été requise pour Ben Ali, actuellement réfugié en Arabie saoudite. « Le juge aurait dû prononcer la peine de mort pour tous les accusés ! », estime pour sa part un proche de Wajdi, un jeune tué à Thala. Pour Maître Anouar el-Bassi, l'un des avocats des familles, l’impunité des responsables pourrait créer de nouveaux troubles, et de citer le cas de « deux anciens piliers des forces de l'ordre », Moncef Krifa, ex-directeur général du ministère de l'Intérieur, et de Moncef Laâjimi, ex-patron des brigades anti-émeutes (BOP). Ces deux-là ont comparu libres à leur procès, et en sont ressortis indemnes. Les familles les accusent pourtant d’être directement à l'origine des tirs meurtriers. Celles-ci ont hurlé leur colère en criant « vengeance » dans le tribunal, taxant la justice militaire de laxisme face à l’appareil policier qui n’a pas bougé malgré la chute du régime. La preuve, Moncef Laâjimi est resté à son poste un an après la révolution, jusqu’à sa mutation en janvier dernier…

Si le juge du tribunal de Kef, issu de la population civile, a tenté de défendre un « jugement juste », assurant n’avoir reçu « aucune pression d'aucune institution », les familles n’ont pas été soulagées par ce procès qui a vu les responsables se renvoyer la balle sans qu’aucun ne reconnaisse avoir donné l'ordre de tirer sur les manifestants. Pour Helmi Chniti, le frère de Ghassen, tué le 8 janvier à Thala, la vérité n’a pas éclaté et « il y a toujours des questions qui me brûlent et qui sont sans réponse », a-t-il confié à l'AFP.

Ce verdict tombe dans un contexte extrêmement tendu en Tunisie, après deux journées de violences intenses lundi et mardi, qui ont provoqué la mise sous couvre-feu de huit régions du pays. Elles faisaient suite à un appel au soulèvement lancé dimanche par le chef d'Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri, qui intimait au parti islamiste Ennahda de défendre la charia, l’accusant de trahir la religion en autorisant « les casinos, les plages naturistes, les taux usuraires des banques, des lois laïques et la soumission au droit international ». A Tunis, les heurts ont éclaté entre civils et salafistes à cause d’une exposition intitulée « Printemps des Arts » présentée dans la banlieue nord de Tunis. L’un des tableaux de l'artiste Mohamed Ben Slama représente une femme quasi nue avec en arrière plan des hommes barbus. Une « atteinte au sacré », selon le communiqué diffusé par les « trois présidences », le chef de l’Etat Moncef Marzouki, le président de l'Assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar et le chef du gouvernement Hamadi Jebali, qui sème « la discorde », et « nourrit les tensions ».
A la suite des salafistes qui ont manifesté mardi pour la fermeture de l’exposition, le mouvement Ennahda, majoritaire dans l’Assemblée constituante élue, a également dénoncé l'atteinte au sacré et appelé à manifester vendredi après la prière.

Crédit photo : AFP

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