Société
Yamina Benguigui : "Les femmes ont un rôle majeur à jouer pour la francophonie"
Publié le 6 décembre 2012 à 17:36
Par Marine Deffrennes
De Kinshasa à Tunis, la nouvelle ministre déléguée à la Francophonie Yamina Benguigui sillonne l’espace francophone pour dépoussiérer ce concept entaché par le colonialisme. Convaincue qu’en 2012, le français est aussi une langue africaine, elle s’est rendue en Tunisie pour soutenir entre autres le processus démocratique et le statut modèle de la femme tunisienne. Entretien.
Yamina Benguigui : "Les femmes ont un rôle majeur à jouer pour la francophonie" Yamina Benguigui : "Les femmes ont un rôle majeur à jouer pour la francophonie"© DR
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Terrafemina : Vous êtes la première ministre française à rendre visite aux Tunisiens depuis l'élection de François Hollande. Comment avez-vous vécu ce séjour ? Y avait-il urgence à rétablir de bonnes relations entre la France et la Tunisie ?

Yamina Benguigui : Je suis très heureuse d'être allée en Tunisie. Ce pays est le pionnier des printemps arabes. Nous soutenons fortement sa transition démocratique. J'étais porteuse d'une lettre du Premier ministre français à son homologue tunisien qui confirmait que M. Ayrault acceptait l'invitation à se rendre en Tunisie que lui avait adressée M. Jebali. Il n'y a pas d'urgence à rétablir de bonnes relations, pour la simple raison qu'elles sont excellentes. Nous avons reçu en France, dès l'élection du Président Hollande, le Premier ministre Jebali, suivi du Président Marzouki. M. Marzouki a été l'un des rares Chefs d'Etat étranger à être invité à prononcer un discours à l'Assemblée Nationale Française. Le Président de l'Assemblée Nationale Constituante tunisienne nous a aussi fait l'honneur de sa visite pour le 14 juillet dernier. Du côté français, quelques jours après ma visite à Tunis, le Président du Sénat, deuxième personnage de l'Etat dans l'ordre protocolaire, s'est rendu à son tour en Tunisie. Le Ministre délégué au développement M. Canfin se rendra en Tunisie dans les prochains jours alors que Mme Guigou, Présidente de la Commission des Affaires Etrangères de l'Assemblée Nationale française, sera aussi en Tunisie. Le maire de Paris M. Delanoë était à Tunis quelques jours avant moi. Vous voyez, la relation à haut niveau est intense et le climat de confiance renouvelé. 

Tf : Depuis le printemps arabe initié en Tunisie en décembre 2010 et le départ du président Ben Ali, le processus démocratique est enclenché mais reste très laborieux. Vu de France, les femmes qui ont massivement participé à cette révolution semblent aujourd'hui menacées dans leurs droits. Comment percevez-vous leur situation et leur avenir, dans un pays où le parti islamiste Ennahda a pris les rênes du pouvoir ?

Y. B. : Nous devons incontestablement rester attentifs au sort qui est fait aux femmes, partout dans le monde comme en France. Les femmes tunisiennes sont des pionnières dans le monde arabe et ailleurs. Elles sont les égales des hommes et ce statut date de 1959. Vous savez, ma mère m'a élevée avec le statut des femmes tunisiennes comme modèle. La révolution a ouvert un débat en Tunisie sur le statut de la femme. Un projet d'article constitutionnel prévoyait qu'elles deviennent « complémentaires » de l'homme, dans le cadre de la famille. Cette définition profondément inégalitaire n'a pas été acceptée par les femmes tunisiennes qui se sont battues pour défendre leurs acquis. Nous les avons soutenues. L'Assemblée constituante est revenue à une stricte égalité des droits des femmes et des hommes, ce dont nous nous félicitons. Nous devons cependant rester en alerte parce que la question du genre n'est pas exclusivement liée à des textes juridiques, mais aussi à des pratiques sociales et à une éducation de tous qui doivent connaître les droits des femmes et les faire appliquer. Cela s'inscrit dans la durée. J'ai rencontré des femmes militantes à Tunis et toutes m'ont indiqué qu'il fallait veiller à la pérennité de l'éducation des femmes et des hommes, à l'égalité.  

Tf : Qu'avez-vous retiré de votre rencontre avec la ministre tunisienne des Affaires de la femme, Sihem Badi ?

Y. B. : Mme Badi est une femme déterminée et attentive. Elle est à l'écoute de la société civile. La Tunisie est dans une phase de recherche de compromis sur de nombreux sujets législatifs et sociaux. Elle défend, par le dialogue avec tous, les droits des femmes. Je lui ai fait part de mon soutien dans le contexte difficile de la transition. J'ai lui ai également parlé de ma conception de la francophonie, une francophonie ouverte, solidaire, où la notion de partenariat dans l'égalité l'emporte sur toutes les autres. Au sein de l'espace francophone, les femmes sont les égales des hommes et ont un rôle majeur à jouer. 

Tf : Comment la France peut-elle s'impliquer pour soutenir les citoyennes tunisiennes ?

Y. B. : Sur le terrain, la France soutient des associations d'aide à l'insertion des femmes dans la vie économique. J'ai visité, dans la cité Ettadamen, une association tunisienne, soutenue par notre ambassade. Cette association enseigne à des jeunes filles des savoir-faire pratiques qui leur permettent d'être indépendantes et autonomes sur le plan financier. Cette autonomie est essentielle dans un environnement de prostitution forcée et de violences de tous genres faites aux femmes, dès leur plus jeune âge. J'ai été très émue de rencontrer ces jeunes femmes. Elles sont sereines et heureuses d'apprendre, conscientes que c'est par l'éducation qu'elles reçoivent qu'elles pourront se sortir de l'environnement difficile qui est le leur. Plus généralement, notre coopération en Tunisie vise à renforcer l'Etat de droit et à accompagner la société civile, dans toutes ses composantes et pour faire face à de nombreux défis. Nelson Mandela disait : « Ce que vous faites pour nous, sans nous, se fait contre nous ». En Tunisie, nous travaillons la main dans la main avec des partenaires tunisiens, publics, privés et issus de la société civile. 

Tf : Votre « plan de relance de la francophonie » vise à déployer 100 000 professeurs dans toute l'Afrique. Pensez-vous que la diffusion du Français puisse aider certains pays africains à se développer et, plus particulièrement, les pays du « Printemps arabe » à poursuivre leur transition démocratique ?

Y. B. : Je crois à une langue française solidaire, à une langue française égalitaire car débarrassée des oripeaux du colonialisme. Faire partie de la francophonie, c'est partager un ensemble de valeurs dont la défense des droits de l'homme est la pierre angulaire. Parler français ne réglera pas tous les problèmes, j'en ai conscience. Mais ces 100 000 professeurs que je souhaite voir formés dans les prochaines années, ce ne seront pas seulement des professeurs de grammaire et de conjugaison. Ce seront des professeurs de l'esprit critique et de la philosophie des Lumières. Des valeurs qui n'appartiennent plus tout à fait à la France, comme la langue d'ailleurs. Car le français en 2012, c'est aussi une langue africaine.

Tf : Vous annoncez également la création d'un Forum mondial femmes et francophonie : en quoi consistera-t-il et quels sont ses objectifs ?

Y. B. : Lorsque j'ai été nommée ministre de la Francophonie, ma première mission a été d'aller en République Démocratique du Congo. Je me suis rendu compte qu'à l'Est du pays, dans la région de Goma, le M23 planifiait les violences faites aux femmes et faisait d'elles de véritables butins de guerre. Je suis allée sur place pour apporter une aide humanitaire, pour dénoncer une guerre sans visage et sans image. C'est là que j'ai compris l'urgence de lancer un mouvement de femmes francophones solidaires. Car c'est bien dans l'espace francophone que l'on viole, que l'on tue ! Je me suis engagée en tant que ministre de la Francophonie à dénoncer sans relâche la menace faite aux Droits des femmes : en RDC, en Tunisie, au Mali, au Niger, au Tchad et dans tout l'espace francophone. Ce forum qui sera ouvert par le Président de la République se tiendra au printemps 2013. Il abordera tous les sujets. Car c'est en unissant nos voix que nous, femmes francophones, nous serons entendues. 

Tf : Pour parler un peu de vous, vous avez été nommée ministre pour la première fois en mai dernier. Quel bilan tirez-vous des premiers mois passés à ce poste ?

Y. B. : Ces six derniers mois ont été intenses. J'ai effectué une vingtaine de déplacements dans le monde entier. Mais que ce soit à l'Assemblée générale des Nations Unies à New York ou au sommet de la Francophonie à Kinshasa, j'ai compris que je pouvais faire bouger les lignes. J'ai également présenté un plan d'action pour dépoussiérer l'image que les gens ont de la francophonie et développer des actions en France. Dans les territoires abîmés, beaucoup de nos concitoyens ne maîtrisent pas la langue française qui est pourtant un passeport indispensable à la réussite. La presse ne m'a pas épargnée, j'ai essuyé de nombreuses critiques sous prétexte que je chercher à penser « hors de la boîte ». Le Président m'a dit « continue ». Je ne suis pas prête de m'arrêter.

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