Toujours avoir des pierres dans son sac est la technique de Shahinaz Abdel Salam, informaticienne de 35 ans habitant au Caire, pour se défendre en cas d’agression. Ghada Abdel Aal achète, elle, deux places de bus « pour être sûre de ne pas être harcelée par un voisin », confie-t-elle au Monde, qui dénonce « la 11e plaie d’Égypte ». Quant à Dalia Hassan, elle s’est exilée en France, lasse de l’« enfer » qu’était un trajet quotidien de vingt minutes pour aller travailler à Alexandrie. Aucune femme n’est épargnée. Riches ou pauvres, quel que soit leur lieu de résidence, elles sont les proies d'agressions verbales ou tactiles, le « taharosh ».
Cette augmentation de l’insécurité n’est pas endiguée par les forces de l’ordre, dont les victimes ont appris à se méfier. Si un voile, le jeune âge ou une bague au doigt ne protège pas une femme des agressions, un uniforme n’empêche pas non plus un homme d’être un agresseur. Harceler est devenu une norme, comme indique ce jeune homme pris sur le fait : « si je ne poursuivais pas les femmes, mes copains me prendraient pour un homosexuel ». En plus du harcèlement de rue, devenu monnaie courante, une recrudescente des viols est également constatée, et notamment des viols collectifs lors de manifestations publiques comme les fêtes religieuses. Les policiers et magistrats n’encouragent pas les victimes à porter plainte, car la victime « souillée », ferait honte à la famille et entacherait l’honneur de son mari, de son père ou de son frère.
La situation s’aggrave depuis quelques années et une frustration sexuelle est observée, due à la situation économique critique. Chômage et difficultés de logement retardent l’âge du mariage, alors que les relations hors union sont prohibées. Robert Solé, auteur de l’enquête du Monde, invoque la transformation progressiste des années 1970, qui a poussé les Égyptiens à chercher du travail dans les pays du Golfe pour revenir quelques années plus tard très riches, et influencés par les idées du mouvement politico-religieux wahhabite. De retour au pays, ils ont pallié le désengagement financier de l’État sur certains secteurs, comme la santé, en donnant au passage du pouvoir au salafistes. S’en suit une réislamisation du pays après les avancées remarquables observées sous les régimes de Nasser puis de Sadate, qui avaient occidentalisé les mœurs. La femme, considérée comme un corps, est dévalorisée.
Dans son film Les Femmes du bus 678, sorti en 2011, Mohamed Diab met en scène trois victimes qui décident de répondre à leurs agresseurs, en employant la manière forte. Le film a contribué à la sensibilisation autour de ce qui est aujourd’hui un débat national.
Victoria Houssay
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