Dans un pays où la dominante catholique est si prégnante, le texte voté vendredi dernier est historique. Le Parlement a adopté une loi légalisant l’avortement dans les cas où la grossesse met en danger la vie de la mère. Trois médecins devront ainsi évaluer le risque médical, et déterminer s’il est « réel et substantiel ». Une clause prévoit même qu’on puisse venir en aide aux femmes enceintes suicidaires : l’avis de deux psychiatres et d’un obstétricien seront nécessaires pour décider de l’interruption de la grossesse. En outre, les femmes pratiquant un avortement illégal seront moins durement pénalisées : la peine prévue est réduite à 14 ans de prison, au lieu de la prison à perpétuité...
Initiative du gouvernement, cette loi vise à répondre à l’indignation de la population soulevée en octobre dernier par la mort d’une jeune femme d’origine indienne suite au refus des médecins de pratiquer un avortement. La femme enceinte de plus de 4 mois s’était rendue aux urgences à cause d’intenses douleurs au dos, et les médecins avaient rapidement diagnostiqué une fausse couche. Mais malgré ses demandes insistantes, ils refusèrent d’interrompre la grossesse tant que le fœtus avait un pouls. « Vous êtes dans un pays catholique », avaient alors expliqué les médecins au couple. Au bout de 4 jours, Savita Halappanavar, 31 ans, a finalement accouché d’un bébé mort-né et est tombée dans le coma. Elle est décédée 4 jours plus tard d’une septicémie. Le drame avait provoqué un tollé et de nombreuses critiques de la part de la communauté internationale.
En 2010, l’Irlande avait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), après avoir interdit à une femme en phase de rémission de cancer d’avoir recours à une IVG pour éviter que sa grossesse ne provoque une récidive.
Un cas avait alerté l’opinion dès 1992 sur la nécessité de légiférer sur l’avortement. Une adolescente de 14 ans enceinte à la suite d’un viol avait été présentée à la police par ses parents. Ceux-ci avaient expliqué en toute transparence qu’ils comptaient partir en Angleterre pour faire pratiquer une IVG, et se demandaient s’ils pourraient récupérer l’ADN du fœtus pour confondre le violeur. La police avait alors dénoncé les parents et empêché la jeune fille de quitter le pays. Celle-ci avait alors menacé de se suicider. La Cour suprême irlandaise avait finalement autorisé le départ de la famille au Royaume-Uni, mais cette décision ne fut jamais retranscrite dans la loi.
La loi sur « la protection de la vie pendant la grossesse » n’a pas été adoptée sans douleur et doit toujours être votée par la chambre haute du Parlement avant la fin du mois, mais la majorité de celle-ci est acquise au gouvernement. Quarante-huit heures de débats ont été nécessaires pour venir à bout des 165 amendements soumis au vote des élus, et 60 000 personnes ont manifesté à Dublin pour s’opposer au texte. Le Premier ministre Enda Kenny a par ailleurs affirmé avoir reçu des menaces : des lettres écrites avec du sang, des fœtus en plastique reçus chez lui, et des avertissements de l’Église catholique promettant de l’excommunier, lui et tous les députés favorables au texte. Le Premier ministre, ou Taoiseach dans l’appellation irlandaise, s’est contenté de répondre en séparant le politique du religieux, affirmant qu’il était fier d’être « un Taoiseach, qui se trouve être catholique, mais pas un Taoiseach catholique ».
Pour autant qu’on s’en félicite, la loi arrive trop tard pour les victimes de cet acharnement religieux, et apparaît bien insuffisante au regard des 4 000 Irlandaises qui partent chaque année en Angleterre ou au pays de Galles pour se faire avorter. Surtout, la loi n’autorise toujours pas l’avortement en cas de viol ou d’inceste, ni en cas d’anormalité grave du fœtus. Les victimes de crimes sexuels n’auront plus qu’à feindre une tentative de suicide pour obtenir le droit d’être avortées.
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