On mesure le niveau de développement d’un pays à la situation des femmes sur son territoire. Sont-elles éduquées, libres, font-elles carrière et sont-elles visibles dans les hautes sphères du pouvoir ? Quelques états du Moyen-Orient l’ont bien compris, au point de mettre l'argument au service de leur autoritarisme. C’est la thèse d’un article paru sur Foreign Policy, qui dénonce une opération de « triche » : « Ces gouvernements autoritaires trompent le monde en exposant les quelques femmes qu’on peut trouver dans leurs rangs les plus élevés, comme une preuve de leur position libérale sur les questions liées aux femmes. Mais ces femmes sont l’exception, pas la règle », écrivent les auteures de l’article Samia Errazzouki et Maryam Al-Khawaja. Focus sur les alibis féminins de quelques pays arabes.
Ministre de l’Information et porte-parole officiel du gouvernement, Sameera Rajab donne une image moderne de la femme des Pays du Golfe. Exposée au niveau national et international, elle ne porte pas le voile et se retrouve largement citée dans la presse étrangère comme le symbole d’un pays progressiste et tolérant. La réalité de la situation des femmes à Bahreïn est pourtant très éloignée de ce scénario : « Les femmes ont été les victimes de luttes de pouvoir, de réflexes sectaires, d’une mauvaise gestion du gouvernement et d’une répartition injuste des richesses et des ressources nationales », lit-on dans le rapport du Comité des Nations-Unies pour l’éradication des discriminations envers les femmes. À cet état de fait il faut ajouter la répression brutale dont elles ont été victimes lors des manifestations contre le pouvoir cet été.
La première dame syrienne, en affichant un soutien indéfectible à son mari, a depuis longtemps perdu cette aura de working girl moderne qu’elle cultivait hardiment. Mais il y a un an à peine elle trompait encore son monde, et se faisait même tirer le portrait dans Vogue. Il faut dire que le régime syrien avait à cœur de montrer l’épouse de Bachar al-Assad, cette professionnelle des relations publiques et passionnée de mode, moins préoccupée par le sort des populations civiles de son pays que par ses commandes de chaussures de luxe.
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De son nom de jeune-fille Salma Bennani, l’épouse du roi du Maroc Mohammed VI et devenue le visage de la politique féministe engagée par la monarchie. Des réformes qui ont le mérite de pousser sur le devant de la scène les élites féminines du pays, mais qui « laissent de côté les femmes marginalisées et privées de leurs droits des classes inférieures », dénoncent les auteurs de cette enquête. Exposée largement dans les médias locaux et étrangers, elle contribue, avec quelques autres femmes d’affaires, à donner l’illusion d’un état qui progresse avec les femmes.
Icône de la presse people, Rania de Jordanie fait partie de ces princesses ultra-médiatisées et visibles dans toutes les noces royales européennes. Mais la beauté et la classe de la princesse font oublier les grandes inégalités qui subsistent en Jordanie : s’il faut saluer une politique très volontariste en matière d’éducation des femmes, elles doivent toujours demander l’autorisation de leur époux pour travailler, et sont encore victimes de crimes d’honneur, visant à sauver la réputation de la famille, entachée par une grossesse ou des relations sexuelles hors mariage.
Elle est la première femme ministre du Qatar, en charge du ministère des Technologies de l’information et de la communication, un portefeuille plutôt technique qui a pour objectif de moderniser l’État. Ultra-compétente et diplômée, Hessa Al Jaber travaille plus particulièrement à la protection des femmes et des enfants sur Internet. À noter également la nomination pour la première fois d’une femme juge au tribunal de première instance. Pour autant, la polygamie est toujours autorisée au Qatar, l’homosexualité interdite, et les femmes contraintes de demander l’autorisation de leur époux pour voyager.
Dans des pays où l’homme demeure au centre de la vie politique, économique et sociale, difficile de ne pas saluer l’émergence d’élites féminines : une ou deux femmes médiatiques et libérées valent sans doute mieux que zéro. Si ces quelques superwomen du Moyen-Orient ne doivent pas faire illusion sur le sort des milliers d’autres, au moins peut-on espérer qu’elles réveillent chez leurs compatriotes des envies d’émancipation qu’il sera, à terme, bien difficile de contenir pour les gouvernements.