Que signifie aujourd'hui être une femme et vivre en Inde ? C'est la question que s'est posée The National Council of Applied Economic Research (NCAER), un institut indépendant de sondages et de statistiques basé à New Delhi. Entre 2011 et 2012, le NCAER a recueilli le témoignage de plus de 42 000 ménages situés dans l'ensemble du pays. Le but ? Rassembler des données fiables et récentes concernant les revenus et les dépenses des familles indiennes, mais aussi évaluer les progrès faits en matière d'éducation et de santé et recueillir des données sociologiques sur les castes, le sexe et la religion.
Concernant les droits des femmes, qui ont fait l'objet d'une infographie publiée mercredi 19 mars dans le quotidien anglophone The Hindu, les résultats sont sans appel : si les inégalités hommes-femmes sont en constant recul dans le pays, le pari est loin d'être gagné pour autant, la société indienne restant profondément patriarcale.
Parmi les données les plus significatives, se trouvent notamment celles sur le mariage des enfants. Interdites depuis 2006, les unions d'enfants ont nettement reculé, mais restent, dans certaines régions les moins urbanisées comme le Rajasthan, encore d'actualité. Alors qu'en 2004-2005, 60% des Indiennes de moins de 25 ans avouaient s'être mariées avant 18 ans, elles ne sont plus que 48% six ans plus tard. La pratique des mariages entre cousins ou avec un parent proche a aussi reculé, même si dans les régions pauvres du sud du pays l'Andhra Pradesh et Karnataka, 20% des unions se font encore entre parents. En six années, la fécondité a aussi diminué : en moyenne, les femmes indiennes accouchent de 3,55 enfants.
Toutefois, de nombreux progrès restent à faire concernant l'autonomie et les droits des femmes. Encore aujourd'hui, 41% des femmes interrogées n'ont pas leur mot à dire sur leur future union, et 18% ne rencontrent leur époux que le jour de leur mariage.
Une fois le mariage scellé, le sort des Indiennes ne s'arrange pas pour autant. Si elles sont 76% à pouvoir faire entendre leur voix sur les achats du foyer et 55% à posséder un compte bancaire à leur nom, elles sont 81% à devoir demander l'autorisation à leur époux avant de se rendre dans un centre médical. Et seules 19% d'entre elles ont leur nom sur les documents administratifs du foyer.
Pour Sonalde Desai, la directrice de l'étude au NCAER, si les progrès entrepris par la société indienne pour faire évoluer la place des femmes sont indéniables, ils restent encore loin d'être suffisants. « Des mesures ont été prises pour l'autonomisation des femmes, mais cette enquête nous montre surtout à quel point leur situation est encore sombre », note-t-elle dans Madame Figaro.
Parmi les maux dont souffre encore la société indienne, NCAER pointe notamment du doigt les violences domestiques, encore monnaie courante dans le pays. Ainsi, 54% des Indiennes ayant répondu à l'enquête estiment qu'elles se feraient battre si elles sortaient sans la permission de leur époux. Trois femmes sur dix redoutent également de prendre des coups si elles cuisinent mal un met.
Dans The Hindu, Suneeta Dhar, la présidente du mouvement pour les droits des femmes Jagori, explique : « Certains d'entre nous, qui se sont mobilisés pour le droit des femmes, ont pensé qu'il fallait se concentrer sur la police et la sécurité. Mais, il doit y avoir un changement à l'intérieur de la maison, dans les écoles et au sein même des communautés. »
Car dans un pays où il ne se passe pas une année sans qu'une histoire de viol collectif ne fasse la Une des journaux, l'une des principales inégalités à l'égard des femmes reste la dot. Cette coutume, qui consiste à sceller un mariage par la donation de biens par la famille de la mariée à celle de son époux, est profondément enracinée dans le système social indien, malgré son interdiction en 1961. Très pratiquée dans le pays, même par les familles éduquées et appartenant aux classes sociales les plus élevées, elle serait, selon le Bureau national des registres criminels, à l'origine de la mort de 8 233 femmes en 2011. En moyenne, les familles indiennes déboursent aujourd'hui 33 463 roupies (environ 400 euros) pour marier leur fille. Pour finalement acheter quoi ? Des téléviseurs écran plat et des voitures, révèle l'enquête.