Terrafemina : Que va-t-il se passer lors de l’audience de DSK demain ?
Alexis Werl : Il s’agit d’un grand jury composé d’un maximum de 23 citoyens de New York, qui doit décider de prononcer ou non un « indictment », c’est-à-dire une mise en accusation. Ce n’est pas une condamnation, mais une autorisation donnée au procureur de continuer ou non ses poursuites contre DSK. Il faut qu’au moins 12 jurés considèrent qu’il y a des causes raisonnables de croire que Dominique Strauss-Kahn aurait pu se rendre coupable des faits qui lui sont reprochés. Il ne s’agit en aucun cas d’une décision sur la culpabilité de M. Strauss-Kahn, seulement sur des présomptions de culpabilité. Si cette majorité n’est pas obtenue, il y a non-lieu.
TF : A quoi doit-on s’attendre selon vous ?
A. W. : En général, les grands jurys new-yorkais suivent les réquisitions du procureur et prononcent un « indictment », car cette procédure est peu contradictoire : seule l’accusation donne ses arguments à charge, les avocats de la défense ne s’expriment pas devant ce jury. Apparemment le grand jury s’est déjà réuni hier pour entendre la plaignante, et rendra son délibéré demain.
TF : Une demande de libération sous caution a été faite par les avocats de DSK. Pourrait-il être libéré aujourd’hui ?
A. W. : En effet cette décision doit être rendue aujourd’hui par le juge, qui est compétent sur le sujet de la détention provisoire. Celui-ci peut estimer que DSK offre suffisamment de garanties de représentation s’il s’engage à ne pas quitter la ville, à faire l’objet d’une surveillance, à porter un bracelet électronique. Mardi, le juge a fait part de sa crainte que Dominique Strauss-Kahn ne fuie en France, au motif que ce pays n’extrade pas ses nationaux. Si les avocats de Dominique Strauss-Kahn souhaitent obtenir une libération, il leur faut convaincre le juge que ce risque n’existe pas.
TF : Si DSK est inculpé demain, que se passera-t-il ensuite ?
A. W. : Chacune des parties va alors fourbir ses armes, et procéder à des investigations. La défense pourra obtenir l’accès à toutes les pièces réunies par l’accusation. Elle devra enquêter et collecter des preuves à décharge. C’est ce qui différencie le système judiciaire américain du système français. En France c’est le juge d’instruction, magistrat indépendant, qui conduit les investigations à charge et à décharge, il n’est pas d’un côté ou de l’autre. A la fin de son enquête il décide soit de renvoyer le mis en examen devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises, soit de prononcer une ordonnance de non-lieu. Aux Etats-Unis, le procureur et ses services mènent l’enquête à charge, tandis que la défense fait appel à des cabinets privés d’investigation, pour mener son enquête à décharge. Le jour du procès les deux enquêtes sont confrontées, et un jury populaire de 12 personnes se prononce sur la culpabilité de l’accusé. D’après les informations que j’ai entendues à la télévision, les avocats de DSK auraient d’ores et déjà fait appel à un tel cabinet. Il s’agit d’une pratique courante aux Etats-Unis.
TF : En quoi va consister la stratégie de la défense de DSK s’il est inculpé ?
A. W. : S’il continue de plaider « non coupable », il y aura donc un procès d’ici quelques mois mois. Dans les affaires relatives à des infractions à caractère sexuel, lorsque l’accusation repose essentiellement sur la parole de la plaignante, une stratégie de défense courante consiste à mettre en doute la crédibilité de cette plaignante, en examinant ses antécédents, son passé, les incohérences de son parcours. Si en revanche DSK plaidait « coupable », une phase de négociation s’ouvrirait entre la défense et le Procureur, pour trouver un accord sur une peine inférieure à celle qui serait prononcée au cas où le jury déclarerait le prévenu coupable de tout ou parties des faits qui lui sont reprochés.