Rahmouna a connu le mariage forcé, la violence conjugale, le divorce puis, sans ressources, l’errance avec trois enfants sur les bras. Fatiha s’est mariée à dix-neuf ans. Quatre mois plus tard, alors qu’elle tombe enceinte, elle devient veuve. Lorsqu’elle accouche, son bébé lui est volé pendant la nuit, dans son lit d’hôpital. Que s’est-il passé ? Elle ne le saura jamais.
Fatiha et Rahmouna, deux femmes qui ont tout quitté, désespérées, à la recherche d’un salaire décent. Elles sont venues vivre à proximité du chantier de Hassi Messaoud, une ville perdue dans le désert algérien où les entreprises pétrolières s’implantent peu à peu.
Fatiha s’installe dans un quartier populaire qui jouxte le bidonville où habite Rahmouna ; cet endroit, c’est El Haïcha, « la bête sauvage » en arabe algérien, un toponyme terriblement évocateur. Dans ce quartier, elles vont connaitre l’horreur.
Il était minuit. En cette nuit du 12 au 13 juillet 2001, comme chaque soir, Rahmouna et Fatiha étaient chez elles, dans leurs domiciles du bidonville d’El Haïcha. Nul n’aurait pu prédire les violences qu’elles allaient subir.
A la suite du prêche virulent d’un imam intégriste, près de 500 hommes se ruent dans la ville de Hassi Messaoud. Ils viennent « nettoyer la ville des femmes impures », c'est-à-dire de toutes celles qui travaillent mais qui vivent seules, « portant hijab ou pas ». Pour ces hommes, ces femmes sont des prostituées et donc une menace pour la sérénité de la communauté.
Fatiha sera la première victime de cette « expédition punitive ». Frappée, brûlée, violée, les hommes « l’ont enterrée jusqu’au cou […] avec du sable et des dalles de trottoir arrachées », la frappant à la tête à coups de pieds. Lorsqu’une voiture de police approche, les hommes fuient.
Rahmouna aussi subira la folie de ces hommes. Elle raconte : « Ils étaient une cinquantaine à barrer toute la route entre chez nous et les voisins. […] Ils se dirigeaient tous vers moi. Qui supplier ? Ils me promettaient les pires insanités. […] J’ai senti un coup de couteau déchirer mon ventre. Le sang a jailli avec une violence qui m’a surprise ». Une fois encore, les agresseurs se sont échappés lorsque la police est arrivée.
Ce soir-là, toutes deux sont « laissées pour mortes ».
Peur des représailles, de l’humiliation publique, du mépris de leurs familles, après cette nuit de cauchemar beaucoup de victimes se taisent. Le joug social et le poids des traditions feront plier les victimes. Depuis presque neuf ans, des dizaines de femmes vivent dans le silence et la honte.
Mais certaines refusent de se résigner et exigent la condamnation des coupables ; Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura se sont battues jusqu'au procès.
En 2004, trois hommes sont condamnés à des peines de prison - huit, six et trois ans respectivement - tandis que six autres sont acquittés. Vingt-cinq autres hommes, absents lors du procès, sont condamnés par contumace ; ces coupables-là courent toujours. Rahmouna et Fatiha craignent chaque jour d'en croiser un dans la rue.
Petite note d’espoir pour Rahmouna et toutes les femmes de son pays, en Algérie de plus en plus de personnes se mobilisent pour inculquer « aux enfants et aux jeunes […] le respect de l’autre et les valeurs de l’égalité entre hommes et femmes » la tâche n’est toutefois pas simple car les défenseurs des droits des femmes « ont beaucoup moins de moyens que les intégristes ».
Ainsi concluent les victimes : « Le chemin sera long pour qu’il n’y ait plus jamais d’autre Hassi Messaoud ». Une phrase qui retentit comme une alerte…
Laissées pour mortes. Le lynchage des femmes de Hassi Messaoud
Un témoignage de Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, paru chez Max Milo Editions
256 pages, 18 euros
Rahmouna Salah et Fatuha Maamoura sont actuellement en France. Vous pourrez les rencontrer vendredi 19 février de 19h à 21h lors d’une soirée débat à Paris. Nadia Kaci, traductrice et co-auteur du livre « Laissées pour mortes » sera également présente. Retrouvez toutes les informations en cliquant ici !
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Laura Jeanneau
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